Lilith

La sexualité interdite : Lilith

Sauvage, perverse, diabolique… Lilith est le démon de la nuit, la maligne séductrice qui envoûte l’homme avec ses armes sexuelles et le conduit dans les abîmes de la perdition. Elle assassine les enfants, dévore les animaux, elle est mère de millions de diables, destructrice de la vie sous toutes ses formes… Dans la nuit des temps, elle fut vénérée comme une déesse de la sexualité sacrée et est devenue diabolique avec le patriarcat, passant à l’histoire comme une des figures obscures les plus effrayantes.

La sexualité interdite : Lilith

Sauvage, perverse, diabolique… Lilith est le démon de la nuit, la maligne séductrice qui envoûte l’homme avec ses armes sexuelles et le conduit dans les abîmes de la perdition. Elle assassine les enfants, dévore les animaux, elle est mère de millions de diables, destructrice de la vie sous toutes ses formes… Dans la nuit des temps, elle fut vénérée comme une déesse de la sexualité sacrée et est devenue diabolique avec le patriarcat, passant à l’histoire comme une des figures obscures les plus effrayantes.

Icône du mal dans les mythologies hébraïque, sumérienne, babylonienne, cananéenne, perse et arabe, elle est considérée par le judaïsme comme le plus redoutable des démons. La Cabale et le Talmud hébreux mettent en garde les hommes quant à ses méfaits et ses agissements pour les envoûter.

Mais qui est réellement Lilith et pourquoi la connaît-on comme l’incarnation féminine du mal ? Le Talmud la décrit comme étant la première épouse d’Adam. Auprès de cette première figure féminine, il n’est pas heureux parce qu’elle le questionnait sans cesse : pourquoi devait-elle être dans la position inférieure lors de l’acte sexuel s’ils avaient été crées de la poussière de la même façon et qu’ils étaient égaux ? Selon la tradition juive, lorsque Adam insista pour garder la position supérieure, Lilith refusa de se soumettre et, prononçant le nom secret de Dieu, s’échappa vers la Mer Rouge qu’on disait peuplée de démons. Là, elle se consacra à une luxure déchaînée, donnant naissance à plus de cent démons par jour. Yahvé envoya trois anges pour lui demander de retourner auprès d’Adam mais elle refusa.

Les cheveux noirs et longs, la peau claire, les yeux hypnotisant ceux qui osent les regarder, Lilith a pour couleur le rouge, comme le sang qu’elle aspire à boire… Son symbole est la chouette, présage du mal, animal maudit capable de voir la nuit…

Lilith devient ainsi une représentation féminine du mal. Après avoir abandonné Adam, elle épouse le démon Samael. Elle s’introduit dans l’inconscient collectif comme une sorcière séductrice, une incarnation de la luxure déchaînée, une mère étrangleuse, un succube assassin d’enfants, un vampire… Alors, de la côte d’Adam, vient la naissance d’Ève, femme obéissante et bonne à qui l’homme peut se fier et qui n’abandonnera jamais celui-ci.

Ève et Lilith sont deux visages de la Déesse, deux facettes de la femme : la lumière et l’ombre, la vie et la mort, l’épouse et l’amante, la raison et l’instinct. Deux parties du féminin unies et adorées à l’époque du matriarcat parce qu’intégrées à un tout. Elles se séparent avec l’arrivée du patriarcat, qui condamne Lilith aux ténèbres et avec elle l’instinct, la force et la liberté de la femme.

Les premiers Hébreux adoraient la déesse Astarté qui est une version phénicienne de Lilith. Durant l’époque babylonienne, Lilith était, comme Astarté, la Prostituée Sacrée. Sa mission était de recueillir ceux qui se perdaient en chemin et de les conduire jusqu’à son temple. Là, les prêtresses les initiaient à la sexualité sacrée, porte ouverte sur la spiritualité. Faire l’amour avec un étranger était une des épreuves d’initiation par laquelle passaient les jeunes prêtresses de Lilith : l’étranger symbolisait Dieu et le sexe était le Chemin.

Avec la mise au ban de Lilith, la prostituée cesse d’être sacrée pour devenir une ténébreuse et horrible plaie sociale. La sexualité n’a plus qu’une signification et une fin, la procréation, tous les autres aspects devant être considérés comme pervers.

Susanne Schaup1 affirme que la condamnation de Lilith coïncide avec l’exil des juifs de Babylone et le début de la diaspora. « Les Juifs se trouvant exilés de leur patrie, sans prêtres et sans temples, le danger d’être absorbés par d’autres religions était grand et la nécessité de diaboliser l’inconnu pour le contrôler était aussi grand. Ainsi, Lilith devint une projection négative du féminin alors qu’Ève, compagne soumise à son mari, devint le modèle de la femme juive qui devait alléger les difficultés de l’homme dans le monde extérieur hostile ». Les femmes désobéissantes, les rebelles, effrayaient profondément les hommes car, là où ils n’étaient propriétaires de rien, ils devaient l’être au moins de leurs épouses. De cette façon, Lilith passa à l’inconscient masculin comme une figure de « l’âme maligne », rebelle, indépendante et puissante. Elle est condamnée pour sa débauche sexuelle, pour son instinct et pour avoir transgressé une des normes les plus importantes de la religion juive, à savoir l’interdiction de prononcer le nom de Dieu, ce qui implique non seulement une infraction à la loi mosaïque mais montre aussi qu’elle était instruite de la sagesse divine, complètement voilée aux femmes par la tradition du peuple d’Israël.

Le judaïsme fut l’origine d’autres religions monothéistes, le christianisme et l’islam, dans lesquelles Lilith est également perçue comme un démon et la sexualité comme un moyen de procréation qui ne donne à la femme que le droit d’être une mère ainsi qu’une épouse fidèle et obéissante, sans aucune possibilité d’accès à l’instruction ou à la sagesse.

L’homme des cultures méditerranéennes grandit ainsi dominé par une division entre la putain et la sainte. La putain est la femme qui procure le plaisir sexuel, celle avec qui les instincts animaux se déchaînent mais l’épouse, la mère, doit être une sainte. Cette dissociation que l’on retrouve fréquemment chez les hommes méditerranéens et arabes est habilement restituée dans le film dirigé par Harold Ramis en 1999, Mafia Blues, où Billy Cristal incarnant un psychologue se voit obligé de faire une thérapie à un chef mafieux de New-York, interprété par Robert de Niro. A un certain moment, le gangster confesse à son thérapeute qu’il a une maîtresse pour « faire des trucs » qu’il ne peut pas faire avec sa femme. Billy Cristal, surpris, lui demande pourquoi il ne le fait pas avec son épouse et celui-ci lui répond, gêné et ahuri par la question du psychologue : « C’est la bouche qui embrasse mes mômes tous les soirs, vous êtes cinglé ! ».

Cette division de la femme est en passe de disparaître grâce aux mouvements féministes pour la libération sexuelle, 90% des hommes nés à partir des années 60, et spécialement ceux nés pendant les décennies 70 et 80, n’ont pas une vision aussi scindée de la femme selon une enquête que nous avons réalisée.

Lilith, la prostituée, le démon, la mauvaise femme qui mène l’homme à la perdition, est partout : dans la littérature, au cinéma, dans l’art, les rêves… Victor Hugo, Flaubert, Apollinaire, Baudelaire parlent du terrible monstre diabolique qui se cache sous le voile d’une belle femme. Becquer est sans doute celui qui la restitue avec la plus grande maestria dans l’une de ses célèbres Légendes : Fernando, le protagoniste de Los ojos verdes, est un chasseur qui, poursuivant sa proie, rencontre une belle jeune femme qui le séduit et l’envoûte au point de lui faire perdre la raison et la vie. C’est le maléfique démon aux pupilles émeraude qui habite un lac perdu au milieu d’un bois de peupliers. La mystérieuse et poétique plume du poète sévillan, enveloppe le lecteur du charme de Lilith.

La liberté d’être soi-même

Tel est le visage que nous a laissé Lilith. Pourtant, cette déesse de l’ombre est beaucoup plus que cela. Lilith symbolise la capacité féminine de se rebeller, de s’affirmer face aux contraintes imposées par l’homme et dire ce qu’elle veut pour elle. Lilith réclame le droit de jouir de sa sexualité pendant le coït, au lieu de se soumettre simplement à la volonté de l’homme. Là est la raison principale pour laquelle elle a été diabolisée : pour cette capacité de s’affirmer alors que, dans le patriarcat, le désir de plaisir sexuel reste l’apanage des seuls hommes et apparaît comme quelque chose d’absurde et d’inutile pour la femme bien élevée.

Lilith représente aussi la liberté féminine à être soi-même et à se poser en égale de l’homme. C’est le refus conscient d’être limitée dans une relation. Cet aspect de Lilith est magnifiquement rendu dans le roman d’Almudena Grandes, Malena c’est un nom de tango2. L’héroïne est un esprit révolté et fort, une femme profondément sensuelle, que la société, à commencer par sa famille, stigmatise parce qu’elle a contourné les normes patriarcales. Almudena Grandes dessine la démoniaque Lilith au travers de Malena, qui, comme la mythique figure, aime le sexe, les viscères crues et la luxure effrénée. Face à elle se profile Ève, dans le personnage de sa sœur jumelle Reina, le prototype même de la femme obéissante, soumise et conventionnelle. Ce que Almudena Grandes dit finalement c’est que dans l’apparente obscurité se trouve la lumière et que dans l’apparente lumière se cache l’obscurité la plus perfide. Malena, anarchiste, révoltée, libertine, est le visage divin de la force féminine de l’amour. Reina, la sainte, devient une femme ténébreuse qui agresse les autres femmes pour garder un homme car la seule chose qui lui importe réellement dans la vie, c’est l’apparence et la sécurité.

Pour Jung, le culte de Lilith équivaut à celui de Lamia, une déesse grecque qui en séduisant Zeus, réveilla la jalousie de sa compagne Héra. Celle-ci s’en prit à Lamia de façon à ce qu’elle n’ait que des fils morts. Dès lors, Lamia passa à la mythologie comme une étrangleuse d’enfants, une tueuse de femmes enceintes, coupable de séquestrer des créatures innocentes. Lilith comme Lamia symbolise « l’autre femme », celle que Héra et les épouses, les compagnes officielles, haïssent parce qu’elles la voient comme une rivale, une ennemie possible pouvant faire échouer leur mariage, leur union. Lilith est la féminité désirée par les hommes, la fantaisie sexuelle dont ils rêvent éveillés et qui enflamme leur désir et leur passion. Mais Lilith représente aussi dans l’imagination des épouses, la tentation de leur mari, de leur compagnon, l’amante libérale et sauvage avec laquelle elles ne peuvent rivaliser sans abandonner leur attitude d’épouses fidèles, obéissantes et sages.

Quant à la persistante accusation qui fait de Lilith une étrangleuse d’enfants, Marcia Starck et Gynne Stern affirment que ce stigmate est un symbole lunaire. Lilith est associée à la seconde moitié du cycle lunaire, où la lune décroît avant de donner lieu à la menstruation avec la nouvelle lune. Ève, au contraire, est associée à la lune croissante et à l’ovulation. Si la femme ne conçoit pas pendant la première moitié de la lune, elle saigne durant la seconde. « Le comportement prémenstruel sauvage et la sexualité sont associés à Lilith. Ainsi, de manière symbolique, Lilith représente la mort de l’ovule non fertilisé »3. Au-delà des symboles lunaires, dans la réalité, cette supposée diablesse serait la féminité qui décide librement d’avoir des enfants, décision totalement discréditée par la société puisqu’elle la considère comme contraire à la nature de la femelle.

Le réveil des instincts obscurs

Lilith n’est pas seulement un type de femme que le patriarcat a rejeté dans l’ombre ; elle est aussi une partie de l’âme féminine qui vit dans l’obscurité, réprimée, mais qui peut en certaines circonstances s’éveiller et sortir déformée de ces ténèbres. Cet archétype peut émerger de l’ombre, par exemple, quand un homme ou une situation déterminée, réveille l’instinct endormi et enfermé dans l’âme féminine. Pour ces femmes conventionnelles, farouchement attachées aux valeurs, aux normes morales et religieuses, à toutes sortes de préjugés, ce réveil des instincts peut être le réveil de la bête qui a été enfermée très longtemps. Esther Harding y fait référence lorsqu’elle écrit : « L’impact de l’instinct féminin chez cette femme peut être comme une inondation qui, depuis l’inconscient, menace de submerger toutes les valeurs humaines spécifiques qu’elle semble posséder lorsqu’elle contrôle sa vie par le biais des normes conventionnelles »4 .

C’est le cas de Désidéria, l’héroïne du roman d’Antonio Gala, La passion turque5. Cette femme, incroyablement conventionnelle et conformiste, y compris dans sa vie sexuelle, puisqu’elle est presque frigide, tombe éperdument amoureuse d’un guide turc lors d’un voyage à Istanbul. L’homme la fait s’ouvrir à ses instincts les plus profonds qui dormaient en elle. Elle s’identifie même à l’étrangleuse d’enfants lorsque, par amour pour lui, et en dépit de la douleur causée, elle avorte plusieurs fois.

Le film 9 semaines 1/2, du réalisateur Adrian Lyre (1986), reflète aussi l’éveil des instincts les plus obscurs et les plus réprimés par la société. Mais le film qui offre sans doute la meilleure image de Lilith comme démon sexuel est Liaison fatale, réalisé lui aussi par Adrian Lyre. Glenn Close y interprète le rôle d’une prestigieuse avocate ayant une brève aventure avec un homme marié. Au terme de celle-ci, elle devient folle et le poursuit, allant jusqu’à tenter de détruire sa vie de famille. Rendue folle par une nuit de luxure effrénée qui réveille et déchaîne ses instincts les plus pervers, la bête surgit et se montre capable d’aller jusqu’au meurtre.

Des messages contradictoires émis par le père durant l’enfance peuvent aussi activer une Lilith dénaturée et obscure. C’est le cas de Maryse, une patiente qui, lorsqu’elle vint en consultation, pensait que son seul problème était son incapacité à se compromettre avec les hommes. Au fur et à mesure de ses plongées dans son enfance, elle commença à comprendre la raison pour laquelle les hommes avec qui elle avait eu une relation la fuyaient ou se transformaient en monstres du jour au lendemain.

Maryse est orpheline de mère ; son père la frappait et l’humiliait fréquemment. Mais les coups alternaient et se confondaient dans l’âme de la petite fille avec sa nourriture quotidienne, des caresses chargées de tendresse et les pleurs de son père qui l’avait maltraitée. Ce double message aurait pu la conduire à une schizophrénie ou à une psychopathologie mais heureusement, elle rencontra des appuis clé : le chant et la musique. Lorsqu’elle composait et chantait, sa douleur, la confusion et le chaos émotionnel que provoquait cette relation tourmentée avec son père, étaient libérés et sublimés. Maryse haïssait et aimait ce père. Lorsqu’il la frappait, elle le détestait et quand il la caressait, elle se sentait aimée et aimait. Ces deux sentiments se transférèrent à ses relations avec les hommes. Ayant besoin d’eux, elle les attirait et lorsqu’elle les sentait pris dans les filets de sa séduction, elle les détruisait en faisant apparaître chez eux leur côté le plus pervers.

Lorsque Maryse put percevoir séparément la haine et l’amour qu’elle ressentait pour son père, lorsqu’elle put vivre et libérer sa fureur envers lui, il naquit en elle une nouvelle femme, capable d’abandonner le cercle vicieux dans lequel elle était enfermée et de laisser la place à une nouvelle façon d’être en relation avec l’homme.

Comme nous pouvons le voir, le grand danger de Lilith est son obscurité. La femme doit apprendre à la maîtriser comme une partie d’elle-même, une partie forte, qui sait s’affirmer et réclamer pour elle le droit à la liberté de décision et à la jouissance de la sexualité. Il est donc important d’éclairer cet aspect en l’acceptant et en l’intégrant. .

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