Petite histoire de l’amour à plusieurs (de l’adultère au poly-amor)

Est-ce que jouir c’est tromper ?

Peut-on dire que l’on «trompe» son conjoint quand on se masturbe avec un instrument? Non. Et quand on se masturbe avec un amant, dûment muni d’un préservatif? La notion d’adultère —autrefois liée aux liens de parenté- a tellement changé de sens que le mot même semble dépassé. Pour comprendre, petit retour en arrière.

Dans les sociétés patri-linéaires (transmission des biens de père en fils), le péché d’adultère ne concerne pas les hommes, qui sont libres d’avoir des maîtresses. Les femmes, elles, doivent rester fidèles, histoire de ne pas brouiller les pistes génétiques…

Durant la Grèce antique, le mari peut très bien entretenir une concubine (pallake) dans la même maison que son épouse. Si sa femme commet une faute, le mari peut la tuer. S’il ne la tue pas, il est censé la répudier sous peine de perdre son honneur et d’être déchu de ses droits civiques. L’indulgence n’a pas droit de cité dans ces sociétés qui assignent les épouses au statut de reproductrice.

Les premières lois sur l’adultère ne sont d’ailleurs mises en place que pour limiter les déchaînements de haine qui frappent —dans les sociétés archaïques— la femme prise en flagrant délit d’adultère: elle est lapidée, poursuivie à coups de pierre hors de la cité, puis abandonnée à demi-mourante du côté des décharges et des eaux usées. Les premières lois anti-adultère sont donc volontairement humiliantes, afin de soustraire les coupables à de plus graves sanctions. L’amant se voit parfois entièrement épilé. La femme exposée mi-nue en public. Certaines lois condamnent l’amant à une amende. L’amende est deux fois plus élevée si il a séduit la femme que s’il l’a forcée. Ca coûte moins cher de violer.

Dans la Rome antique, le système est le même à une différence près: parfois la femme se donne la mort, comme Lucrèce, violée par le fils de Tarquin et qui préfère mettre fin à ses jours que “souiller” le lit conjugal. Autre exemple révélateur: Pompeia, l’épouse de César, est répudiée car un homme amoureux s’est introduit dans ses appartements en se déguisant en femme. Il voulait juste la voir. Pompeia est innocente. Mais «la femme de César ne saurait être soupçonnée». Avec la décadence, les moeurs se relâchent: les femmes prennent l’initiative du divorce et en changent parfois si souvent qu’elles calculent leur âge par nombre de mari (un par an). «Elle a eu 8 maris en 5 hivers», ironise Juvénal à propos d’une joyeuse divorcée.

Les hommes eux-mêmes échangent leur épouse quand l’une des deux n’a pas d’enfant… Au 1er siècle avant notre ère, les frontières entre mariage et amour libre sont difficiles à établir, à tel point que l’empereur Auguste se voit obligé d’édicter une loi nommée lex Julia de adulteris, du nom de sa famille (les Julius). Sa propre fille – Julia – fait partie des premiers condamnés : son inconduite est si scandaleuse qu’il la bannit sur un îlot perdu, Pandataria. Elle y reste 16 ans, sans bijoux, sans vin, sans hommes.

La monogamie qui se met en place, progressivement, sous l’influence du christianisme connaît sans cesse des hauts et des bas. Il est si dur de rester fidèle à une unique et seule personne. Les cours d’Europe donnent l’image de la plus grande dissolution. Au XVIe siècle, en Angleterre, Ben Jonson affirme qu’aucne femme n’accepte de se contenter d’un seul homme: «C’est comme si vous leur demandiez de se contenter d’une seule jambe ou d’un seul oeil.» En France, si l’on en croit Brantôme, toutes les dames de la Cour sont «galantes», à commencer par la Reine Margot. Un pamphlet intitulé le Manifeste des Dames de cour (1587) dévoile les confessions de dames qui, comme Madame de Villeroy, réclament miséricorde: «Voyant mon petit mari si faible et de petite complexion, j’ai fait ma provision du chevalier Breton et ne fais pas grande conscience de passer mon temps par une si petite offense. Monseigneur de Lyon m’en donnera l’absolution.» L’Eglise peine à réprimer ces écarts que certains prélats ou moines voient d’un oeil tolérant ou complice, parfois pire…

Au XIXe siècle, avec le recul de la religion, l’adultère devient un sujet de conversation polémique: tout le monde en parle. Les juristes, les savants, les écrivains, les demoiselles de la bonne bougeoisie… et les féministes (comme Balzac) qui réclament pour les femmes «le droit de tromper» autant que leur époux. Dans la loi, l’adultère est uniquement défini comme une faute commise par la femme. Que l’homme aille voir ailleurs n’est pas considéré comme un délit. Le Code civil de 1804 réaffirme nettement cette inégalité: si les époux se doivent mutuellement fidélité (art.212), l’homme n’est passible d’une condamnation que s’il a entretenu et logé sa maîtresse sous le même toit que son épouse (art. 230). Tout ce que lui demande la loi, c’est donc d’avoir une garçonnière! Le code pénal de 1808 punit la femme adultère de trois mois à deux ans de prison (art. 337). Le mari, lui, n’a droit qu’à une amende. Autre injustice: le mari est «excusable» s’il tue les amants après les avoir surpris en flagrant délit. L’adultère restera criminalisé jusqu’en 1975.

Au XXe siècle, grâce à la pilule et au test de paternité, la notion traditionnelle de couple vole en éclat. Les femmes sont désormais libres d’aller voir ailleurs, sans que cela ait de conséquence fâcheuse sur le principe sacro-saint de la transmission du patrimoine. L’identité du père biologique peut facilement être établie en cas de doute. En 1938, la femme obtient le droit d’avoir une carte d’identité et un passeport. En 1942, elle peut gérer ses biens propres et travailler (mais elle ne peut pas mettre de côté l’argent qu’elle gagne, il faut donc qu’elle le confie à son mari). En 1965, elle peut ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de son mari et disposer librement de l’argent qu’elle gagne. La femme peut donc elle aussi «produire» du patrimoine, ce qui la dédouane du devoir d’obéissance conjugale. Elle n’est plus considérée comme une «mineure», mise sous la tutelle d’un mari propriétaire.

Il y a bien sûr des hommes suffisamment cyniques pour assimiler les «fantasmes féministes d’égalité» à une «cochonnerie libérale». «Tous au turbin sans distinction», se moquent-ils, estimant qu’il n’y a là aucun progrès dont on puisse se réjouir. Le travail (légalement reconnu) des femmes, à leurs yeux, n’est qu’une forme moderne d’exploitation… comme si les femmes, avant la mise en place du système capitaliste, n’avaient jamais travaillé. Mais peu importe. Le cri d’horreur «Ciel, mon mari» – désormais relégué au rang d’amusant souvenir —laisse la place à d’autres formules, typiquement bourgeoises elles aussi, mais bien moins dramatiques: «Que faites-vous après l’orgie?». L’amour étant devenu la seule digne raison de se marier, on estime désormais possible de s’offrir des «rencontres échangistes» ou des «partenaires multiples»: je t’aime, mon chéri, et je t’aimerais bien plus fort si tu m’emmenais dans une party… A quoi ça sert d’avoir un(e) conjoint(e) si ce n’est pas pour tout partager avec lui/elle ?

Petite histoire de l’amour à plusieurs (del’adultère au poly-amor)

IXème siècle avant JC: légalité

Il semblerait qu’à Sparte, contrairement à toutes les autres cités grecques qui punissent sévèrement les coupables, l’adultère soit «inconnu» : «La vie conjugale ne s’y prête guère, expliquent Sabine Melchior-Bonnet et Aude de Tocqueville (Histoire de l’adultère). Le mariage consiste en un “rapt”, par lequel le mari enlève une jeune fille et l’emmène en cachette, la nuit, sur sa couche; puis la jeune femme est remise à sa nouvelle famille qui la garde recluse jusqu’au retour de l’époux, tandis que celui-ci continue de coucher en dortoir militaire jusqu’à l’âge de 30 ans. Sparte connaît par ailleurs une sorte d’adultère légal: les femmes peuvent faire des expériences amoureuses avec d’autres hommes que leur époux si ce dernier y consent. Aussi la jalousie est-elle bannie. Le législateur Lycurgue (IXe s. avant notre ère) permettait au mari âgé d’introduire auprès de sa jeune femme un jeune homme bien né qu’il estimait “pour s’unir à elle et avoir un enfant de sang généreux, qu’il considérait comme le sien propre”. Mieux encore: un homme de mérite, s’il admirait une femme, pouvait demander à son mari de lui prêter cette épouse pour y “semer”. Cependant, dès le IVe siècle, les moeurs spartiates tendent à se relâcher et la vie privée retrouve une place importante.» Il n’est plus question de laisser un autre inséminer celle qu’on aime, sous prétexte que cela donnerait de beaux enfants et renforcerait les liens entre guerriers… L’amitié virile a ses limites.

Vème s. av JC: fraternité

En Grèce, Platon propose aux soldats de mettre en commun leurs femmes, pour supprimer la jalousie et le sentiment de propriété.

18 av JC: liberté

En pleine période de décadence romaine, l’empereur Auguste édicte la lex Julia qui condamne les rapports charnels illégitimes. L’adultère devient une offense criminelle, jugée devant un tribunal. La France observera ce droit jusqu’en 1789. La fille d’Auguste, Julia, belle, cultivée, voluptueuse, mariée trois fois entre 16 et 20 ans, épuisée d’amour entre les bras de ses nombreux amants, organise une orgie en plein forum, là même où son père avait prononcé la loi contre l’amour libre… Elle sera punie: 16 ans d’exil.

1er siècle de notre ère: orgies romaines

Malgré les réformes d’Auguste, la dissolution règne à Rome: les matrones s’inscrivent sur la liste des prostituées, Messaline va au lupanar, 2000 procès pour adultère sont en attente au tribunal. Le christianisme naissant —qui impose le mariage monogamique et indissoluble– apparaît comme un vrai refuge moral…

630 ap JC: harems barbares

Le Bon roi Dagobert vit avec trois reines et de nombreuses concubines. Malgré tous les efforts de l’Eglise, les rois francs et carolingiens pratiquent la polygamie jusqu’au XIème siècle.

XIème siècle: guerriers brutaux

Les barons misogynes et grossiers considèrent la femme comme un être inférieur guidé par ses ovaires (mulier totae in utero), moyennant quoi violable à volonté. Presque tous les grands seigneurs ont pour maîtresses des femmes mariées de haut rang. Résultats: ils sont tous cocus, “grattant le con” de la femme d’autrui, tandis que leur épouse reçoit son amant. René Nelli, théoricien de l’Erotique des troubadours les nomme “maris-druts”.

XIIème siècle: amour courtois

Le fin’amor inventé par les poètes met au point l’image d’une dame au coeur pur, être de grâce, belle, vertueuse, digne d’être servie par un amant désespéré. Bref, une image de la Vierge Marie. Les relations extra-conjugales deviennent alors idéales, sublimées par le code de la chevalerie. Ce qui ne les empêche pas d’être concrètes, ardentes, fiévreuses. L’amant, paradoxalement, doit être fidèle à une seule et unique femme, celle de son coeur.

XIVème siècle: les galantins

Malgré la toute puissance de l’église, certaines coutumes populaires d’origine paienne perdurent, comme le “valentinage”, qui permet aux épouses de prendre un amant, “valentin” ou “galantin, au vu et au su de son mari: le prétendant (célibataire) est tiré au sort puis, sous prétexte de célébrer le retour du printemps, il prend du bon temps. A Turin et à Florence, la coutume perdure jusqu’au XVIIIème siècle.

XVIème siècle: comi-tragédie

Pris de “chaude colle” (colère), le mari tue parfois sa femme infidèle. Les homicides pour adultère constituent moins de 1% des crimes au XV et XVIème siècles. Mais Shakespeare, Cervantes et Boccace en font un sujet littéraire majeur. Drame de la jalousie.

XVII-XVIIIème siècle: badinage et patinage

En plein siècle des lumières, on estime que trois maris sur quatre ont une maîtresse. Les philosophes revendiquent pour la femme le droit au bonheur et critiquent dans L’Encyclopédie l’inconstance des hommes, pour justifier celle des épouses. Diderot fait l’apologie des galants. Choderlos de Laclos veut voir «expirer la vertu». La belle Ninon de Lenclos dit à l’un de ses amants: «Je crois que je t’aimerai trois mois, c’est l’infini pour moi».

XIXème siècle: retour de bâton

La loi du 20 septembre 1792, qui admettait le divorce par consentement mutuel, fait trop de dégâts. «Devant l’hécatombe des couples se séparant, la loi de 1804 en restreint les modalités jusqu’à son abolition complète en 1816» (Histoire de l’adultère). Le code Napoléon, qui empêche les époux de se séparer, reconnaît aux hommes le droit de tromper leur femme. Ils n’y trouvent donc pas trop à redire. La femme adultère, elle est passible de prison. L’émancipation féminine, née et enterrée avec la Révolution, connaît tout de même ses défenseurs chez les Romantiques qui s’attaquent violemment à la notion de couple. Certains médecins, s’intéressant aux origines de l’adultère, établissent que toute la constitution morale de la femme dérive de «la faiblesse innée de ses organes». Ils recommandent que l’époux use du coït avec mesure, afin de préserver le mystère de l’union et de maintenir la flamme.

1903: discours médical

Les médecins apportent des arguments pseudo-scientifiques contre l’adultère: ce n’est pas «hygiénique»! Le docteur Surbled écrit: «Le coeur d’une vierge est sans prise: c’est le palpitant foyer d’un amour sans bornes qui ne se donne qu’une fois et pour toujours» (La Vie de jeune fille, éd. A. Maloine). Amen.

1927: No comment

«Le premier devoir que vous avez envers votre mari, c’est la fidélité. Vous l’avez promise, il faut la tenir, coûte que coûte, même s’il vous donnait l’exemple du contraire. Votre devoir ne dépend pas du sien» (L’amour conjugal et maternel, Edward Montier, association du mariage chrétien).

1946: féminisme

Un an après la création du magazine Elle, qui parle aux Françaises de sexualité, on peut encore lire dans les publications catholiques: «La satisfaction des appétits sexuels en dehors du mariage est un crime contre le prochain» (Devoir et instinct, éd. Familiales).

Années 60-70: amour libre

Au cinéma, Jules et Jim (1961) fait un tabac. Le stérilet est inventé en 1963. La contraception autorisée en 1967. Le sigle du MLF créé en 1970. L’avortement légalisé en 1975. Les femmes ont le “droit de disposer de leur corps” (Simone Veil) et… en profitent.

Années 90: trio gagnant

En 1992, le rapport ACSF sur la sexualité des Français établit les chiffres suivants: 10% des hommes et 2% des femmes déclarent avoir une fois dans leur vie fait l’amour avec deux personnes en même temps. En 1999, un sondage Max-20 ans va plus loin: 70% des garçons de 18-30 ans rêvent d’une partie à trois. 18% l’ont réalisé. «Le couple c’est fini, l’amour à trois c’est mieux», titre L’Echo des savanes dès 1995.

1996: le nouvel ordre amoureux

Dans une interview réalisée par Le Nouvel Observateur, Philippe Sollers et sa femme la psychanalyste Julia Kristeva expliquent que la fidélité est parfaitement compatible avec les aventures extra-conjugales: «La véritable infidélité est de trahir la conception du couple telle qu’on l’a forgée dans l’expérience de vie commune». C’est désormais la sincérité qui devient le garant des liens amoureux, et non plus la chasteté.

2011: Selon une étude réalisée par l’Université D’Austin (Texas), 50% des hommes pardonnent leur femme si celle-ci les trompe avec une autre femme. 22% seulement des hommes pardonnent, si elle les trompe avec un homme.

Côté femme, en revanche, le pourcentage reste pratiquement le même dans les deux cas. Si leur compagnon les trompe avec une femme, ça ne passe pas (22% seulement pardonne). S’il les trompe avec un homme, ça ne passe pas non plus (28% pardonne).

Les soirées échangistes apparaissent comme le moyen le plus pratique de désamorcer le désir d’adultère. Pour satisfaire sans danger ses besoins d’expériences nouvelles, on “baise” à trois, quatre ou plus. Quand la party est finie, on se retrouve à deux, on s’embrasse tendrement et… on “fait l’amour”.

Texte venant du blog: Les 400 Culs d’Agnès Giard

SOURCES : Histoire de l’Adultère, Sabine Melchior-Bonnet et Aude de Tocqueville, éd. La Martinière. Petite histoire du sexe et de son apprentissage, de Florence Lanzmann, éd. JC Lattès.

Article corrigé le mardi 22 février sur l’explication du mot “Julia” dans “lex julia de adulteris”.

Plus d’infos sur l’histoire de l’émancipation des femmes. (Merci à Monigi qui m’a corrigée sur la date concernant l’ouverture du compte bancaire, si tardive)

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