LE PLUS. Refusant le schéma classique de la vie à deux, les polyamoureux peuvent aimer plusieurs personnes à la fois. Comment font-ils pour faire fi de leur jalousie ? Pour garder confiance en l’autre ? Magali Croset-Calisto, sexologue clinicienne et écrivaine, fait le point sur ce choix qui défie la norme et chavire parfois l’entendement.
Étymologiquement, le mot “polyamour” provient du grec et du latin signifiant “amours multiples”. Il fut tout d’abord utilisé dans les pays anglo-saxons sous l’appellation polyamory.
Le polyamour est une manière différente de vivre et de penser les relations sentimentales puisqu’il implique toujours plus de deux personnes. Ce choix de vie part de la constatation qu’une seule personne ne peut et ne doit être contrainte à combler tous les désirs et besoins d’une autre personne…
Ouverture, respect et écoute de l’autre sont les maîtres mots. Le polyamour est intimement lié aussi aux notions d’honnêteté et de sincérité dans la mesure où il se construit sur la connaissance et l’acceptation de la situation pour chaque personne impliquée dans la relation. Le mensonge ne fait pas partie des usages polyamoureux.
Loin de la polygamie, du libertinage ou de l’aventure d’un soir
Dans cet art d’aimer en marge des pratiques communes, il n’y a pas de règle figée. À chaque polyamoureux sa vision de l’amour et du partage.
L’essentiel étant que chacun des partenaires soit en accord avec le contrat de départ à savoir : une souplesse vis-à-vis de l’exclusivité sexuelle et/ou affective afin de vivre au mieux (et dans le respect de l’autre) ses désirs et son épanouissement personnel.
Dans ma pratique clinique en sexologie et suite aux témoignages reçus dans le cadre d’un livre en cours, j’ai rencontré de nombreux couples qui fonctionnaient en tant que relation “primaire” possédant chacun de part et d’autres des relations “secondaires” connues du conjoint mais aussi des partenaires concernés. Ces personnes assument leur statut de polyamoureux et la transparence à ce propos semble faciliter les rapports humains.
J’ai pu rencontrer aussi des personnes qui ont fait volontairement le choix du célibat pour pouvoir vivre pleinement plusieurs amours à la fois dans une disponibilité et une volonté de partage maximal. Il arrive que les différents partenaires d’une personne se rencontrent, s’apprécient et décident ensuite de vivre ensemble autour de leur amour commun.
Il faut comprendre que le polyamour ne relève ni de la polygamie (laquelle s’avère inégalitaire car la réciprocité et le consentement ne sont pas engagés), ni du libertinage, ni de l’aventure d’un soir. C’est un chemin de vie mûrement réfléchi entre des partenaires aux liens affectifs et/ou intellectuels très forts. Le polyamour est une construction de vie à plusieurs, libre et assumée. Il se nourrit de réflexion, de confiance et de rapports égalitaires entre les partenaires.
Les règles de cet art d’aimer
La présence d’un contrat de départ entre les personnes fait partie du polyamour. En pratique, le polyamour repose donc sur quelques principes prérequis :
– Comprendre qu’il est possible d’aimer plus d’une personne à la fois (tout comme il est possible d’aimer plusieurs amis et enfants en même temps) ;
– Accepter les concepts d’une relation ouverte et assumée fondée sur des principes de confiance et de communication. Le partage des ressentis est essentiel ;
– Savoir que le polyamour est souvent incompris voire dénoncé par la société ;
– Établir ses propres buts et valeurs personnelles sur lesquels fonder le pacte interrelationnel (à chaque polyamoureux un mode de fonctionnement différent, notamment en matière de sexualité) ;
– Être honnête et explicite vis-à-vis de l’ensemble des partenaires, les respecter dans leurs désirs et modes de fonctionnement ;
– Apprendre à tempérer sa jalousie ;
– Apprendre à gérer son temps. Certains partenaires ne se voient que tous les deux ou trois mois, d’autres tous les deux ou trois jours, d’autres vivent sous le même toit.
Contrairement à la vie de couple traditionnelle, les règles entre polyamoureux sont explicitées au début de la relation et chacun doit pouvoir y trouver sa place et son épanouissement personnel. Qu’il se fonde à partir d’un couple primordial constitué de “satellites” gravitant autour, ou encore de trio ou de quatuor revendiqué, le polyamour se joue des normes sociétales. Le seul mot d’ordre étant la qualité relationnelle et la confiance propice à l’épanouissement de chacun.
Un parcours semé d’embûches
Il existe cependant bien des obstacles à l’expérience du polyamour. Le premier obstacle est soi-même, c’est-à-dire la part en soi de son éducation et des conditionnements reçus qui font “barrage”, notamment lorsqu’ils proviennent d’une forte culture judéo-chrétienne qui place l’exclusivité sexuelle en tant que valeur suprême à ne pas enfreindre (d’où la honte, la culpabilité, l’autodépréciation qui s’ensuivent généralement et que je constate souvent lors des consultations…).
Il est important de rappeler également que tout le monde n’est pas fait pour le polyamour. Cette approche du couple peut devenir très vite anxiogène pour les personnes fusionnelles ou insécures.
La pratique du polyamour exige de savoir gérer la jalousie, ce qui n’est pas toujours facile et nécessite souvent de longs mois, voire de longues années d’apprentissage. La tolérance, la bienveillance et le respect des désirs d’autrui font partie des apprentissages également. C’est une philosophie de vie éclairée qui renforce l’estime de soi et la confiance en les autres.
Contrairement à la monogamie, le mensonge et l’adultère deviennent obsolètes, la réciprocité des échanges participe de la construction d’une complicité joyeuse et engagée des partenaires. Le polyamour requiert des partenaires d’être actifs et responsables de leurs choix de vie car aucun pacte officiel ne vient valider ce mode de vie dans notre société. Il nécessite donc une certaine vigilance ainsi qu’une prise de distance face aux regards parfois incrédules voire malveillants alentours.
Une pression sociétale forte
Au quotidien, le polyamour se traduit par l’assurance de discussions riches et animées, par un partage des tâches, parfois des dépenses et une logistique facilitée par la possibilité accrue de présences (pour la garde ou l’éducation des enfants par exemple). La joie de pouvoir vivre pleinement une liberté personnelle tout en sachant qu’elle est comprise, soutenue et partagée est un facteur clé aussi de cette philosophie de vie.
La pression sociétale et les injonctions sociales demeurent très fortes. Ce style de vie – qui existe pourtant depuis toujours dans la littérature et les rapports humains – n’est pas un choix facile à mener au quotidien. Il génère souvent de la suspicion et de l’incompréhension de la part de l’entourage. Cela s’explique par l’histoire du couple au fil des siècles et par la prégnance de la culture judéo-chrétienne dans notre société. Cette dernière a érigé son système de valeurs sur l’exclusivité et la transgression.
Le polyamour se décale donc de ces prérogatives pour une esthétique philosophique humaniste et responsable. Elsa Cayat, la psychanalyste de “Charlie Hebdo” (laquelle a succombé dans les attentats de janvier 2015), avait énoncé une pensée très intéressante à ce propos :
“Il faut accepter le plaisir sans se cacher. La plupart des gens s’interdisent le plaisir dès qu’il est permis. Il est plus facile de prendre du plaisir dans la transgression, c’est-à-dire de voler son plaisir en se cachant derrière quelqu’un représentant l’interdit, que de s’autoriser cette ouverture, cette suspension pour profiter des moments où l’on est ensemble sans se réfugier contre quelqu’un supposé l’interdire.”
Un exemple d’ouverture d’esprit
Pour ceux qui peuvent s’inscrire dans l’approche théorique et pratique des amours plurielles, le polyamour représente une philosophie de vie audacieuse qui renforce l’estime de soi et la confiance en les autres. Tout simplement parce que contrairement à ce qui se vit dans la monogamie, le mensonge et l’adultère (avec l’inconfort qui s’ensuit un jour ou l’autre) deviennent obsolètes. À ce propos, rappelons qu’actuellement, 55% des couples “traditionnels” vivent dans l’adultère et qu’un mariage sur deux aboutit au divorce bien souvent à la suite d’une infidélité.
Mais la route est longue pour qui souhaite construire une éthique personnelle menant à une vie non ordinaire de polyamoureux. Aussi, les polyamoureux sont indéniablement des personnes qui ont beaucoup réfléchi sur elles-mêmes, sur leurs désirs et l’articulation de ces derniers à travers la création de relations non consensuelles et ce, dans un cadre sociétal parfois hostile.
Une grande maturité définit les individus qui ont choisi le polyamour comme mode de vie.
En cela, ils peuvent constituer un exemple concret d’ouverture d’esprit et d’espoir tangible pour toutes les personnes qui ne se retrouvent pas dans le cadre d’une conjugalité monogame. Depuis quelques années, je m’intéresse de près à cette problématique qui concerne autant les très jeunes gens (en quête de nouveautés, désirant aussi éviter les pièges du divorce connu par leurs parents) que leurs aînés qui cherchent parfois à redonner un second souffle à leur vie conjugale après trente ans de mariage.
Contrairement aux idées reçues, il faut se souvenir que le polyamour n’est pas une chose facile à mettre en pratique et que ce choix de vie repose avant tout sur des valeurs de respect, d’humanisme et de liberté. En cela il représente une ouverture intellectuelle et/ou comportementale actuelle intéressante dans une société parfois régressive envers les libertés individuelles. Indéniablement, les polyamoureux représentent un nouveau paradigme de penser le couple et les relations humaines dans notre contemporanéité.
Par Magali Croset-Calisto
Sexologue et psychologue
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