Page réalisée par J-F Bradu à l’aide d’un article de Jean Markale : “Le triple visage de la femme celte” (Le Courrier de l’UNESCO, décembre 1975)
Chez les Celtes, les structures sociales étaient celles de tous les peuples Indo-européens, le premier rang était dévolu à l’homme (société patriarcale). Toutefois, en étudiant les textes, on s’aperçoit que la condition de la femme celte était avantageuse par rapport à certaines autres sociétés.
La femme celte était relativement indépendante de l’homme, elle pouvait posséder des biens propres : bijoux, bétail… Si la propriété foncière était collective chez les Celtes, à côté, la propriété mobilière individuelle était admise. La femme pouvait user de ses biens personnels à sa guise, elle les conservait en cas de mariage et pouvait les reprendre en cas de divorce. Le mariage était une institution souple, résultat d’un contrat dont la durée n’était pas forcément définitive. En théorie, la femme choisissait librement son époux et lorsque c’est elle qui possédait plus de biens que son mari, c’est elle qui dirigeait toutes les affaires du ménage sans demander l’avis à son époux. Si la fortune de l’homme et de la femme étaient à égalité, le mari ne pouvait gérer les biens sans en référer à son épouse.
En se mariant, la femme n’entrait jamais dans la famille de son mari, elle appartenait toujours à sa famille d’origine, et le prix que versait le mari pour l’achat de sa femme n’était qu’une compensation donnée à la famille de celle-ci. En cas de divorce, la femme retournait dans sa famille d’origine. Si l’homme décidait d’abandonner sa femme, il devait s’appuyer sur des motifs graves, si non, il devait payer des dédommagements très élevés. La femme pouvait se séparer de son mari en cas de mauvais traitements, elle pouvait alors reprendre ses biens propres et sa part des biens acquis pendant toute la durée du mariage. Le divorce pouvait aussi s’effectuer par consentement mutuel, la séparation n’était pas liée à une quelconque culpabilité, c’était simplement un contrat qui cessait.
Dans certaines situations, notamment dans les familles royales, la transmission des biens ou de la souveraineté se faisait par l’intermédiaire de la mère ou de l’oncle maternel (l’exemple de Tristan, héros d’une légende médiévale d’origine celtique, héritier de son oncle Mark, en est le plus célèbre).
En-dehors du mariage, il existait une sorte de concubinat réglementé par des coutumes très strictes. Un homme pouvait prendre une concubine, mais s’il était marié, il ne pouvait le faire qu’avec l’accord de son épouse légitime. La concubine et sa famille recevaient une compensation financière et un contrat stipulait la durée du concubinat (un an jour pour jour, renouvelable). Cette coutume qu’on a pu appeler “mariage temporaire” ou “mariage annuel” avait le mérite de sauvegarder l’indépendance, la liberté et la dignité de la femme concubine. Si le contrat passé n’était pas respecté par le concubin, la femme concubine pouvait en appeler à la décision d’un juge, en général un druide qui, en plus de ses fonctions religieuses, exerçait des fonctions judiciaires.
Le problème des enfants pouvait cependant soulever des difficultés. En principe, les enfants appartenaient à la famille du père, de ce fait, ils n’étaient jamais abandonnés, d’autant plus que le système du “fosterage” était pratiqué. Il consistait à envoyer les enfants dans une autre famille afin qu’ils reçoivent une éducation manuelle, intellectuelle ou guerrière, ce qui élargissait le cadre de la vie familiale. Les enfants pouvaient hériter de leurs deux parents et les filles n’étaient pas écartées de la succession, même si elles étaient défavorisées par rapport aux garçons. D’où vient la place enviable de la femme celte dans la société ?
Cette situation vient de l’image que se sont fait les Celtes pour cet être doué de donner la vie ; toute la tradition celtique, galloise, irlandaise, bretonne, insiste sur le caractère de souveraineté de la femme. On retrouve ce sentiment dans la littérature européenne du Moyen Age, notamment dans le cycle arthurien, du nom du roi Arthur, qui est d’origine celtique. L’épouse du roi Arthur, la reine Guenièvre, que les anciens textes gallois nomment “Gwenhwyfar” (“Blanc fantôme”) est le modèle de ces femmes qui incarnent la souveraineté. C’est elle, qui par sa beauté et sa valeur, permet aux chevaliers de montrer leur bravoure.
Le chevalier Lancelot n’avoue-t-il pas que toute sa valeur lui vient de l’amour de la reine Guenièvre qui est le centre de la Cour ? La plupart des héroïnes des légendes celtiques proviennent du souvenir d’une antique déesse solaire. Dans toutes les langues celtiques, le mot soleil est féminin et le mot lune, masculin. Si la Femme est le Soleil, c’est sans doute que les Celtes ont connu une divinité solaire féminine. Le visage de cette divinité se retrouve aussi dans la légende de Tristan et Iseut. C’est Iseut, la femme, qui oblige l’homme à l’aimer, c’est elle qui mène le jeu par sa passion violente, elle entraîne l’homme dans une aventure amoureuse, elle l’oblige à l’aimer malgré lui sous peine de perdre son honneur et sa vie.
C’est le thème récurrent de la souveraineté que l’on doit conquérir, non seulement par force, mais par amour. La quête du Graal, dont la version primitive est d’esprit entièrement païen et même druidique, est la recherche passionnée d’un objet sacré qu’on ne peut obtenir que grâce à une femme aux multiples visages. Dans l’imagination des Celtes, la femme est l’initiatrice, la messagère des dieux, celle qui introduit l’homme dans un monde nouveau, celui des réalités supérieures.
Cependant, par cette puissance qu’elle incarne, la femme a inquiété les Celtes et ils ont cherché à s’en rendre maîtres. Une légende galloise conservée dans un des récits du Mabinogi nous montre comment l’homme essaie de se soustraire à la domination de la femme. L’homme a toujours prétendu avoir des droits de possession sur la femme et ne pouvant se passer d’elle en tant que mère, épouse ou amante, il a fait en sorte de jeter sur elle de terribles interdits teintés de culpabilité. D’après leurs récits mythologiques, les Celtes semblent avoir été conscients de ce phénomène et il y a chez eux comme un regret d’une époque antérieure où la femme jouait un rôle plus considérable. La légende de la ville d’Ys (en Bretagne) nous prouve la pérennité de l’image féminine antique à travers les surfaces troubles de la mémoire. Dahud, est condamnée par les hommes à périr parce qu’elle défie les lois patriarcales en étant la souveraine de la ville d’Ys. Un raz de marée submerge la cité qui disparaît avec sa reine.
Mais selon la légende, Dahud vit toujours au fond de la mer dans son merveilleux palais et elle attend le moment propice pour réapparaître à la surface des eaux. Le symbole est clair : la souveraineté féminine est occultée, engloutie sous les eaux, dans l’inconscient. Mais lorsqu’elle réapparaîtra en plein jour, alors sera retrouvé le paradis perdu où règne, toute puissante, la femme-soleil, celle qui donne la vie et qui procure l’amour. Les hommes, après avoir rejeté la femme dans les ténèbres, passent leur vie à la rechercher car ils savent qu’ils n’atteindront le bonheur qu’à condition de retrouver leur pureté primitive, celle d’un paradis perdu.
La femme celte occupe donc bien une position favorable dans la société où elle vit, sa condition s’est ensuite nettement dégradée et elle devra attendre des siècles pour reconquérir ses droits. On peut considérer que la femme européenne d’aujourd’hui possède en gros les mêmes droits matrimoniaux que la femme celte.
Le site de Jean-François BRADU Professeur histoire-géographie