Le figaro Madame
En pleine polémique sur la burqa, Liès Hebbadj, le musulman polygame présumé de Nantes, a invité un autre débat : celui des amours plurielles.
Marié à une femme et amant de quelques autres, il a plaidé le droit, comme l’y autorise la loi, de fréquenter plusieurs femmes à défaut de les épouser. Mais derrière cette mauvaise foi assumée, il existe une population grandissante de polyamoureux qui conjuguent harmonieusement leur vie sentimentale au pluriel. Qui sont-ils ? Comment vivent-ils leurs relations ?
Paru le 12.05.2010 dans “Le figaro Madame), par Stéphane Rose
« Le XXIe siècle sera celui de l’amour multiple, de la polyunion, de la polyfidélité, du polyamour », a écrit Jacques Attali dans Amours (1). Les polyamoureux, qui écrivent chaque jour sur le sujet et organisent des soirées pour en parler ou se rencontrer, ne le démentiront pas. Créateur du site amours.pl, Guilain Omont a constaté une certaine homogénéité dans la population polyamoureuse : « La majorité d’entre eux n’a pas de télé et a fait des études supérieures, la quasi-totalité vote à gauche, souscrit aux idées féministes, et beaucoup se déclarent bisexuels, queer, genderqueer… bref, réfractaires au cloisonnement des genres. »
Et du décloisonnement des genres à celui des normes amoureuses, il n’y a qu’un pas : la remise en question de l’exclusivité amoureuse est en effet le premier postulat du polyamour. Associé à tort au « couple libre », qui se permet des petits écarts sexuels à l’occasion, sa non-exclusivité n’est pas seulement celle du sexe, mais aussi celle des sentiments. Selon Françoise Simpère, polyamoureuse depuis trente-cinq ans et auteure de Aimer plusieurs hommes (2), véritable bible des amours plurielles, « le modèle dominant actuel est la “serial monogamie” : les gens vivent des amours plurielles, mais successives. Les pluriamoureux considèrent que ces amours peuvent être concomitantes. »
Geneviève Abrial, psychanalyste, estime que cette concomitance relève de la fuite : « Aimer une seule personne est impliquant, il s’agit de construire, de s’engager, il y a un enjeu pour l’avenir, un partage de projets. Dans le fait d’avoir des relations avec plusieurs personnes, il n’y a rien de tout cela. Des rendez-vous ponctuels, des partages en pointillés, pas d’engagement demandé, une fuite perpétuelle. »
Face à cet argument, les polyamoureux ne manquent pas de rappeler que l’adultère est un sport national. Il est vrai que le polyamour, par définition, résout le problème de l’infidélité. Mais il entend aussi, loin de toute considération sexuelle, briser le mythe de « l’amour d’une vie ». Pour Françoise Simpère, « il est utopique de penser qu’à 20 ans, chacun rencontre LA seule personne qu’il pourra et devra aimer toute sa vie. Reconnaître que l’on est formidable, mais pas universel, et donc pas unique, c’est construire un projet de vie sur la réalité, lucidement. Du reste, pourquoi serait-il mieux de n’avoir qu’un seul amour plutôt que plusieurs ? Personne n’a pu répondre à cette
question ! »
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(2) Éditions Autres Mondes. Toujours disponible sur le site http://www.autresmondesdiffusion.fr.
Une question de maturité
À cette question, Coralie, 24 ans, a une réponse pour le moins tranchée : le polyamour est pour elle la seule façon d’aimer pleinement. « J’en suis venue au polyamour car mes relations exclusives me laissaient toujours frustrée. J’aimais Untel pour sa façon de faire l’amour, Untel pour sa culture, Untel pour son humour, mais je ne trouvais jamais ces qualités réunies dans un seul homme. Le polyamour me permet d’avoir l’homme idéal ! » Là encore, Geneviève Abrial voit dans ce morcellement une fuite : « L’autre est un miroir, ne l’oublions pas… Ce que l’on trouve chez lui et qui ne nous plaît pas risque de nous renvoyer à quelque chose de nous-même que nous ne voulons pas voir ! Avoir plusieurs partenaires morcelés en qualités, c’est refuser de voir l’aspect sombre de l’autre, et donc le sien propre. »
Alors, un seul partenaire ou plusieurs ? Libre à chacun de trancher en son âme et conscience, mais une chose est sûre : le polyamour n’est pas un microphénomène né dans le terreau du libertinage hype de ces dernières années, mais une alternative au couple traditionnel qui risque de prendre de l’ampleur dans un monde où l’indépendance, l’autonomie et la liberté sont de plus en plus érigées comme des valeurs fondatrices de l’épanouissement individuel. « Mon livre, paru en 2002, m’a apporté des centaines de lettres de femmes et d’hommes soulagés de voir écrit ce dont ils rêvaient depuis longtemps. Et c’est pour répondre à une réelle demande que les éditions Pocket ont souhaité publier mon Guide des amours plurielles » (3), affirme Françoise Simpère. Quant à Guilain Omont, il voit dans Internet le meilleur allié de l’avènement du polyamour : « Avant, pour exprimer des envies polyamoureuses, il fallait se tourner vers les communautés hippies, marginales par définition. Aujourd’hui, le Net permet d’une part, de découvrir la grande diversité des façons de vivre les amours plurielles, et d’autre part, de mettre enfin les polyamoureux en contact les uns avec les autres. »
Mais si cette alternative parvient à devenir acceptable pour un plus grand nombre, elle doit aussi rester sur un terrain adulte.
« La sexualité d’un adolescent doit être protégée contre l’invasion d’images sexuelles qui ne sont pas adaptées à son degré de maturité psychique, prévient Geneviève Abrial. Si un jeune est confronté à cela, il verra son énergie sexuelle déviée, passant par des canaux non préparés. C’est très violent et très perturbant. L’idée de relations multiples peut l’amener dans un sens erroné : la relation à l’autre devient de la consommation de sexe, rien de plus. » Sur ce point de vue, l’avis de la polyamoureuse rejoint celui de la psy. « À 15 ans, soit on rêve du prince charmant, soit on multiplie les aventures, mais ce n’est pas du polyamour, c’est l’explosion hormonale de la puberté ! estime de son côté Françoise Simpère. Le polyamour nécessite une telle réflexion sur soi qu’il faut un minimum de maturité pour s’y lancer. »
Un minimum de principes et de méthode aussi, à découvrir page suivante, dans notre petit « guide du parfait polyamoureux ».
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Comment ne pas courir au drame ?
1. Arrêter de considérer son partenaire comme sa moitié
La remise en cause de la vision fusionnelle du couple est à la base du polyamour. Plutôt que de considérer son amoureux(se) comme sa moitié, on le (la) considère comme un(e) partenaire avec lequel (laquelle) partager des moments à l’occasion. Si vous détestez être seule(e), si vous avez besoin de sentir que vous ne faites qu’un avec votre amoureux(se), oubliez le polyamour ! Si au contraire l’amour fusionnel vous a toujours paru étouffant, peut-être êtes-vous prêt(e) à vous y essayer.
2. Avancer à visage découvert
« Sans une transparence totale, il ne peut y avoir consentement de l’autre, et le consentement est à la base du polyamour », explique Coralie. Un polyamoureux s’assume en tant que tel dès les premiers instants de la rencontre. Par nature, il n’est jamais infidèle, puisqu’il pose comme condition sine qua non à son investissement dans une relation la possibilité d’avoir plusieurs partenaires… Quitte à se priver de vivre la relation si le (ou la) partenaire rencontré(e) aspire à l’exclusivité !
3. Du dialogue, du dialogue, toujours du dialogue
Les bénéfices du polyamour se font au prix de nombreuses dissensions qu’il convient de régler sans agressivité et dans la plus totale empathie. Françoise Simpère explique que « dans un couple pluriamoureux, les deux partenaires n’ont pas forcément la même façon de vivre leurs amours plurielles. L’un peut cultiver les amitiés amoureuses, l’autre s’engager dans des vies parallèles quasi conjugales. Ces différences peuvent créer des tensions et nécessitent de dialoguer sans s’affronter et de faire évoluer les “règles du jeu” si nécessaire. »
4. Gérer la jalousie
Non, les polyamoureux ne sont pas des mutants dotés d’une telle force psychique qu’elle leur épargne tout sentiment de jalousie. Ils sont jaloux, comme tout le monde… mais refusent d’en faire un obstacle. Selon Guilain Omont, on peut l’éviter « en écoutant la jalousie de son conjoint en mode empathique et sans être sur la défensive, mais aussi en se donnant du temps, en cherchant des solutions gagnant-gagnant ».
5. Bien chercher ses partenaires
« Comme il reste marginal, le polyamour suscite la curiosité, voire l’hostilité, explique Françoise Simpère. Une femme devra donc apprendre à ne pas être blessée par le regard de ceux qui la prendront pour une croqueuse d’hommes. » Si vous êtes
tenté(e) par l’aventure polyamour, vous minimiserez les risques en fréquentant des gens déjà acquis au concept. Sur Internet, ils conversent sur les forums du site polyamour.info et polyamour.be ou se tiennent informés via le groupe Facebook Polyamour.
Illustrations Odyssée Dao : http://www.thehousethatjackbuilt.eu