Cinquante roses

Roman écrit par Goupil.

Nous sommes le 20 janvier 2010. Demain j’aurai cinquante ans. Quand j’étais petit, l’an deux mil me semblait à une éternité. Je calculais que j’y aurais quarante ans, et cela me paraissait bien vieux. Jamais par contre je n’aurais pensé à l’an deux mil dix et à ce demi-siècle qui me séparera demain de mon premier souffle. Tristan, un de mes neveux de douze ans, qui perd son temps à calculer n’importe quoi, prétend que demain j’aurai respiré plus de cinq cent millions de fois, au fil du milliard et demi de secondes que j’aurai vécues.

A quoi je lui ai répondu que je m’en fichais :

« Ca paraît beaucoup, lui ai-je dit, mais tout ce qui m’intéresse c’est de savoir combien de fois mon cœur a battu pour une femme ! Et ça, aucune formule ne pourra te le dire, aucun programme ne te le calculera… »

A son regard amusé, j’ai de suite compris qu’il prenait tout cela pour une simple plaisanterie. Alors j’ai adopté mon air le plus sérieux et j’ai ajouté :

« Ce n’est marqué sur aucun écran, sur aucune machine à calculer, c’est juste inscrit quelque part au fond de moi, et ces traces-là sont mon bien le plus précieux. »

D’égayés, les yeux du gamin sont devenus interrogatifs, puis songeurs.

« Ce qui compte, Tristan, lui ai-je encore dit, ce n’est pas combien de fois j’ai bien pu inspirer, c’est de sentir ce qui aujourd’hui me fait respirer : l’amour et l’écriture sont mes seules inspirations, il n’y en a pas d’autres sur lesquelles je puisse compter… »

On ne parle pas assez d’amour aux petits garçons. Et puis on s’étonne que certains d’entre eux se mettent à tout vouloir calculer, comme de petits banquiers, pour se rassurer… A mes douze ans aucun adulte n’avait encore osé me parler d’amour. A mes quarante ans je n’en avais qu’une vue étriquée, une vision de petit banquier, de petit épargnant. Econome en sentiments, je me reposais sur un maigre capital émotionnel acquis en bon père de famille… Je m’interdisais tout investissement affectif à risque, toute dépense inconsidérée, je misais tout sur mes avoirs, que j’enfermais à double tour dans un coffre-fort de valeurs sûres. Voilà peut-être pourquoi le cap de mes cinquante roses me semble moins tragique que celui de l’an deux mil : sans doute ai-je entre-temps quelque peu revu mon profil d’investisseur, en choisissant de prendre plus de risques, en acceptant que la vie puisse être plus généreuse que prévu, et en faisant de ces traces d’amour mon bien le plus précieux…

Nous sommes le 20 janvier 2010. La butte de Montmartre se dresse devant moi. On dit que c’est le quartier des amoureux. Moi je suis amoureux du quartier. Demain j’aurai cinquante ans, et j’ai choisi de les fêter par un pèlerinage à Paris…

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2 Replies to “Cinquante roses”

  1. J’ai l’habitude de consulter polyamour.be le midi, au bureau, pendant ma pose. J’y découvre les nouveautés et passe ainsi de quelques secondes (rien de neuf) à quelques minutes (un nouvel article, un nouveau post dans le forum, …) à parcourir les pages du site. Mais hier, cela a été différent : j’ai commencé à lire le livre de Goupil et je n’ai pas pu m’arrêter avant la fin. Inutile de dire que l’après-midi de travail ne fut pas très productive !

    Je me suis retrouvé dans le narrateur : j’ai presque le même âge, et un parcours assez semblable. Mais je ne suis personnellement pas encore arrivé au bout de l’aventure…

    Merci à Goupil d’avoir partagé cette bien belle histoire.

  2. Cela faisait longtemps que je n’avais plus eu l’envie de lire de bout en bout un roman : beaucoup de lectures abandonnées en cours de route.

    Ce qui m’a d’abord saisi, c’est une écriture qui ose le récit de sentiments propres à l’existence, mais souvent inavoués ou alors clichés – la crise de la cinquantaine – le tout sans en rajouter des tonnes. Personnellement, je ne pense pas que cela soit une question d’âge, mais un état fondamental auquel on finit par devoir faire face un jour ou l’autre. Ce sentiment de vide, cette envie de vider les lieux survient à de nombreux âges. Le plus souvent, nos occupations et nos préoccupations masquent ce vide, mais son appel reste là et c’est d’ailleurs cette appel qui nous conduit à tant d’occupations pour le combler.

    Je lisais tout à l’heure le dossier du dernier Philosophie Magazine : “Peut on changer de vie ?” Et là, je me suis dis que c’était le moment d’écrire ce que m’avait inspirer la lecture de “Cinquante roses”. Ce qui s’y passe, c’est un changement de vie, enfin, de mode de vie. L’histoire commence sur une vie accomplie au moment où la satisfaction de cet accomplissement disparaît avec le désir qui l’a animé. L’un des paradoxes du désir, c’est qu’une fois réalisé, le désir n’est plus. Que désirer vivre alors ? Le narrateur semble alors avoir tout épuisé et avec lui, tous les possibles qu’il pouvait désirer. C’est alors qu’il est amené à découvrir sa conjointe bien autrement qu’il n’avait pu la désirer ou que notre culture conçoit la possibilité de se désirer, ce qui ne manque pas de provoquer chez lui le sentiment d’une menace pesant sur leur vie conjugale. Oserais-je écrire que commence alors à s’installer un humour subtil sur le fond tragique du sentiment de vide avec lequel avait débuté ce roman ? Oui. Face à la menace de la ruine de tout ce qu’il a pu accomplir dans sa vie conjugale, le narrateur se retrouve à nouveau préoccupé par cette vie qu’il croyait finie dans son accomplissement pour la redécouvrir loin d’être aussi accomplie qu’il ne la pensait.

    Petit bémol – c’est le seul : le récit de cette redécouverte à deux de leur vie conjugale, au narrateur et sa conjointe, s’arrête un peu trop tôt à mon goût. Reste que je pense que notre culture n’est pas encore suffisamment mûre que pour offrir les mots de ce genre de récit. (J’ai eu ce même goût de trop peu avec “Aimer plusieurs hommes” ou “Le guide des amours plurielles” de Françoise Simpère.) Le récit de cette redécouverte mutuelle semble s’arrêter lorsque sa conjointe compare l’effervescence qui le gagne au fur et à mesure du roman à celle de l’adolescence et c’est, non sans humour, que le narrateur raconte les frasques de l’apprentissage de cette étrange adolescence. Les amours plurielles sont souvent associées à une adolescence qui ne finit pas, bref, à l’immaturité de l’adolescence, mais ce roman me semble au contraire présenter une adolescence dont la maturation rencontre très vite les obstacles de ce qui a été définit comme étant la maturité adulte. Ces questions n’en semblent pas moins arriver à une certaine maturation d’abord chez sa conjointe, ce qui ne manquera pas de le replonger – d’abord en rêve – dans sa propre adolescence. Quoi qu’il en soit, l’expression du questionnement qui s’installe dans leur couple relève indéniablement d’une certaine maturité qui, même lorsqu’elle me laisse sur un goût de trop peu quand le récit s’éloigne de leur vie de couple, ne m’en laisse pas moins justement l’impression d’une maturité encore féconde. Un peu comme ces vins capable de bonifier encore avec l’âge.

    Enfin soit, l’écriture romanesque est recherchée tout en restant d’une simplicité rafraîchissante qui permet de lire ce roman d’un bout à l’autre. Loin de se présenté comme une fuite de la réalité, un divertissement, la fiction est ici au service de la réalité pour en déceler les richesses diverses de ses possibles. Ce qui m’a ainsi plus, c’est que ce roman n’a pas besoin de détruire la vie conjugale telle qu’il la connaît au début pour envisager de la connaître autrement. Et loin des clichés de la vie extra-conjugales, il ne se cache pas des illusions et des désillusions, sachant recueillir au final la richesse des joies simples des rencontres, ces joies capables de se nourrir mutuellement face aux désillusions. La réalité est souvent bien loin des idéaux qui nous gouvernent et le plaisir de vivre avec d’autant plus proche.

    Finalement, c’est un autre masculin qui se donne à lire et j’apprécie d’autant plus ce roman. Reste que j’aurais difficile d’en parler moi-même, pour le chercher également ailleurs. Je constate cependant qu’il manque d’une reconnaissance féminine pour que ce masculin puisse se dire. Le féminin marque souvent peu d’intérêt pour ce masculin qui se cherche quitte, bien souvent, à lui préférer des clichés assommants. Ce roman en parle, quelque part, non sans humour, heureusement. Encore une fois, homme ou femme, l’idéal que nous nous formons de l’autre genre nous éloigne de la réalité, des personnes réelles…

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