Par Sandrine
48 ans aux dernières pommes, je vis et travaille au bord d’un grand lac en Suisse ; je me suis toujours sentie mieux seule que mal accompagnée. En me retournant sur les trente dernières années, et peut-être même sur celles d’avant, j’aime ce que je vois, et encore plus les épreuves traversées. Comment grandir sinon ?
Arrivant à la fin de ma dernière formation, et constatant le vide sidéral que mes journées de 15 heures avaient causé autour de moi, je me suis inscrite à Pâques 2006 sur des sites de rencontre, sous des pseudos divers – autant que mes besoins.
Curieusement, j’ai fait une rencontre majeure, alors que j’apparaissais sous un profil clairement orienté vers les relations horizontales. Comme je sentais l’homme délicat et attentionné derrière les répliques, je l’ai mis devant mon souhait d’un échange épistolaire prolongé, mon besoin étant tout aussi amical… Il s’est plié à mes desiderata, il y a eu des périodes d’échanges, de silences, de malentendus… et quand je l’ai enfin rencontré quelques mois plus tard, son physique ne me transportait pas, a priori. Mais après un petit vin, un soir de février dernier, je me suis appuyée contre son flanc pour lui faire un bonsoir chaleureux, ce qui l’a ému. A la rencontre suivante, après une heure et demie de discussions “tout et rien”, il m’a enlacée fermement, et depuis, nos relations ont bénéficié du réchauffement climatique.
On correspond par mails en-dehors de nos rencontres, mes projets professionnels l’intéressent, on cause de choses et d’autres aussi après la sieste crapuleuse… On se voit toutes les trois semaines peut-être, on a passé des caps d’incompréhension, de remises en question, de retrouvailles. Il a sa vie (de famille), j’ai la mienne, nous ne nous posons pas de questions, tout en sachant que nous ne sommes pas les seuls dans le lit de l’autre. Très clairement, nous n’en souffrons ni l’un ni l’autre, Ou alors il me cache quelque chose, mais ce n’est pas son genre (il pécherait par maladresse, rien d’autre). Je suis simplement un peu embêtée de ne connaître ni son nom de famille, ni son adresse ; embêtée car cela veut dire qu’il n’a pas confiance (en moi, ou en lui… peu importe).
Et récemment, sans remettre en question notre histoire, j’ai retrouvé une connaissance avec laquelle j’avais ri, énormément. Il m’a semblé naturel et dans l’ordre de choses de renouer avec cet homme-là, et du coup de me laisser émouvoir de plus près par deux ou trois autres mâles qui me font frissonner. Que cela aboutisse ou non à un écosystème polyamoureux, je me sens enfin “raccord” avec mon moi profond. Mon cœur se réjouit chaque jour un peu plus de s’être fait confiance, d’être assez fort pour supporter l’impermanence de ces liens somme toute assez curieux. J’expérimente que même à deux on est seuls jusqu’au vertige, on ne fait que s’effleurer comme ces comètes qui passent à des milliers de kilomètres l’une de l’autre et qui pourtant infléchissent leurs trajectoires si peu que ce soit.
J’en suis venue à réfléchir, cherchant à recueillir des avis divers. Et les détracteurs du PA (parmi eux, des psychologues et psychiatres bien en vue !) me semblent impertinents, enclins aux jugements de valeur, véhiculant un message dénigrant nous ramenant à des profils immatures. Alors que je me sens plénifiée par cette difficile liberté, qui me fait repenser à mon précédent volet de vie comme à une prison que je me serais construite moi-même : la jalousie, la frustration, la peur de ne faire qu’aligner X monogamies factices dans ma vie. Les préventions et les trouilles des autres comme valeurs, qui me gênaient aux entournures, je ne sais qu’en faire.
Je trouve des chemins différents vers moi-même ; et cela répond curieusement, mais admirablement à mon envie de vivre la seconde moitié de ma vie en étant plus près de la Sandrine originelle, puisque la première moitié m’aura servi à la dépouiller des sécurités mises en place auparavant. Voilà en quoi le lutinage me renforce : il me permet de vérifier que tout est encore à faire, et me laisse libre d’explorer avec d’autres des endroits encore inconnus de ma petite planète.
J’ai eu accès à des envies assez surprenantes, je me suis découverte désirant autrement que comme je l’avais toujours fait, appréciant des pratiques que je croyais inintéressantes, et sentant mon corps de 50 ans qui a comme passé un étroit couloir pour émerger en territoire inconnu. Ce monde-là, où je peux m’éprouver différemment, hors normes, c’est une page vers d’autres chapitres inattendus.
Tout ce que j’ai fait, tout ce que je fais encore, tout ce que je ferai je pense, c’est devenir moi-même, en repérant pour les évacuer les choses qui m’ont permis de survivre pendant un temps mais ne m’appartiennent pas profondément. Elles m’ont été données, je me suis appuyée sur elles ; désormais, elles sont désuètes, coquilles vides et inutiles que je dois abandonner. Démêler les écheveaux, extraire la pure essence, comprendre que finalement je peux vivre à ma guise, prête à vivre une vie encore plus difficile. Chercher comme une initiation perpétuelle à la vie, à travers la pérégrination sentimentale.
La vie c’est risqué, mais à ma mort je voudrais ne rien regretter : le bonheur, c’est une succession de joies, de peines, de déchirements et d’extases jusqu’au mystique, d’une communion de plus en plus profonde avec l’essence vitale. Mon temps est court à l’échelle cosmique, si fugace. Alors je vais oser, oser, oser.
Et travailler sur le sentiment de possession, de jalousie, certainement issu de mon éducation directe et de l’héritage social. D’où vient la jalousie ? Ce que j’ai trouvé de plus simple et de plus productif jusqu’ici, c’est d’aller l’explorer avec un thérapeute. La jalousie est liée au sentiment de priorité qu’on pense devoir obtenir d’une personne en particulier. Mais si cette personne disparaît, on va nécessairement devoir trouver comment répondre à ce besoin ; peut-être moins bien, mais peut-être pas. Quand on n’est pas aimé comme on voudrait l’être, la question à se poser reste la même : cela me convient-il ? Que veux-je, qui suis-je ?
Bien se connaître, ça doit forcément déboucher sur les petits recoins d’où partent d’autres couloirs donnant sur d’autres dimensions de soi, écrivant l’atlas du Tendre, car une carte n’y suffirait plus. J’arrive en effet sur une sorte de 4ème dimension, une équation à inconnues qui viennent d’autres alphabets.
François Simpère parle de lutinage : le mot est joli, elfique, il allége la chose sans la banaliser, en l’aérant. J’aime l’idée de prendre la vie comme un jeu, ne dit-on pas que les enfants se construisent avec le jeu, surtout quand ils jouent aux grands. Il y a moins de sécurité au jour le jour et ça ne marche pas avec tout le monde : le lutinage n’est pas léger, c’est un bouleversement de valeurs conséquent après la monogamie. Je pense aussi au respect des partenaires : ne pas tout raconter, c’est aussi une histoire de jardin secret. Tout comme “tout dire” , sous couvert de franchise totale, peut empoisonner une relation.
Je sens que je suis en train de me réconcilier avec mon énergie masculine, mon animus, je me sens devenir un homme pour ce qui est de mes fantasmes, mes manières amoureuses, les stimuli qui me font réagir. Tout ce qu’on leur attribue, en fait. J’ai vécu la moitié de ma vie en n’osant pas accepter ma part masculine intime (pour prix de la séduction ?), et à présent que plus personne ne m’ennuie avec des projets familiaux, que j’ai abandonné certaines protections claniques, que je me sens l’audace de parler vrai, de décoller d’un certain bien-pensisme féministe, cette part peut se faire jour. Et si j’avais maintenant à passer mes valeurs à une fille, une filleule, une nièce, mon discours au quotidien en serait plus droit, plus dépouillé, plus ouvert à la disparité des caractères et des relations.
Ceci dit, je voudrais aller à la rencontre des hommes de ma génération souvent déboussolés, pas encore remis des revendications de leurs mères ( ?), et qui cherchent comment être bien. Il y a du boulot…
Je suis arrivée sur le polyamour comme une évidence, une mise en mots d’une solution informulée depuis que je me sens mal à l’aise avec l’idée d’une relation unique. Depuis toujours, en fait ! Il s’agit de sortir du mimétisme qui consiste à faire « comme tout le monde », à se camoufler dans le conformisme, la mode, les mœurs ; du niveau de la confusion entre « besoin » et « désir ».
D’autres arrivent, à travers la pratique, sur la possibilité de grandir émotionnellement, de remettre en question des valeurs qui ne sont pas immuables, mais protègent les liens sociaux en mettant des freins multiples. Le mariage traditionnel est dur à transgresser, sans doute est-ce un bastion extrêmement important pour cimenter notre monde. Il faut trouver comment faire tenir cela tout ensemble autrement, ma foi !
L’émergence publique de cette manière de vivre les relations peut se faire parce que d’autres tabous sont mieux acceptés ; l’évolution des tolérances constitue des bases mouvantes sur lesquelles les lois et la jurisprudence s’appuient pour suivre. Et dans la foulée, les droits nationaux et internationaux doivent bien suivre, l’économie et les relations de commerce et d’échanges internationaux bougent, tout est lié… Finalement, on s’aperçoit que vivre ainsi nous engage, nolens volens, dans un processus bien plus large : l’évolution, bonjour Darwin. La goutte d’eau ne le sait pas, mais elle fait partie de la grande rivière !