Par Polyphil – entrevue réalisée avec Thierry du site quelsexe.com
– Peux-tu te présenter ?
Bonjour, je m’appelle PolyPhil, sur le site polyamour.be. J’ai 43 ans, je suis papa de deux enfants, et je vis avec Sophie ma compagne depuis une vingtaine d’années. Nous habitons Bruxelles. Je travaille dans l’audiovisuel, j’étais monteur en vidéo, en télévision , dans le secteur privé et dans des associations où j’ai terminé par y trouver un peu mieux ma place. Et depuis 10 ans, je suis réalisateur.
J’ai toujours cette envie de me définir comme étant un chercheur, un grand chercheur avec mes petits moyens. Grand, en tout cas dans l’envie. Aujourd’hui, les premiers résultats sont visibles avec le site polyamour.be, même si, en fin de compte, j’ai écrit très peu de choses. C’est plutôt un site qui rassemble beaucoup d’articles écrits par d’autres personnes.
Par contre ma valeur ajoutée c’est “Polyplaisir des Utopies”, depuis février 2010 cette émission qui donne la parole aux amours pluriels est également diffusée sur Radio Campus (Université Libre de Bruxelles). J’aime écouter toutes sorte d’émissions radio, lire de la philosophie, faire de la musique, des promenades, un peu de vélo et puis les amitiés.
– Peux-tu nous présenter le site internet ?
Le site est né en deux phase. Une première phase de préparation l’année dernière, avec une recherche de documentation de base, glanée sur le net, dans des livres, des revues. Puis, il y a six mois, une phase un peu précipitée de mise en ligne, due à la première émission où nous avons été invités, Sophie et moi. Nous avons été interviewés par Tanguy, chroniqueur de l’excellente émission de la RTBF : Bang Bang. Le site a donc démarré avec ce petit coup de pouce. Le blog de Bang Bang a suscité des visites et des réactions que j’ai pu mettre en ligne.
Plusieurs idées constituent le site. L’idée de la définition-conseil, des références glanées sur quelques sites vraiment intéressants comme infokiosques.net, premiers textes de base qui jettent un cadre. L’idée de la bibliothèque parce qu’un livre pour moi, c’est le plaisir de l’écriture, c’est oser échanger en intimité. Il y a le livre de Jacques Attali (Histoire des relations entre les hommes et les femmes, Fayard 2007) mais aussi Françoise Simpère qui est une référence (Il n’est jamais trop tard pour aimer plusieurs hommes, Edition La Martinière 2002), et Paule Salomon (Bienheureuse Infidélité, Edition InterEditions 2002) qui est un livre important pour moi. Cela à été un déclic, le livre qui m’a fait prendre conscience qu’il se passait quelque chose de riche dans une permissivité à se donner et je pense que c’est une des clés qui peut décadenasser les références figées.
L’idée de rassembler une médiathèque assez complète. J’ai une formation en audiovisuel à la base, et le net permet avec des systèmes d’édition libres comme SPIP de créer un site en quelques clics avec vidéo intégrée. C’est pour moi quelque chose qui a toute sa place pour témoigner de belles rencontres comme celle de Clémentine à Bruxelles qui m’a donné l’envie d’une deuxième émission de radio, ou pour remettre en valeur quelques archives. D’autre vont arriver comme une interview de Françoise Simpère qui est passée à la RTBF, il y a un an (Parlez moi d’amour).
Les personnalités, c’est une rubrique qui peut encore se développer. Il y a des incontournables : Jacques Brel, Emma Goldman, Emilie Lamotte… L’espace forum est plus centré sur Bruxelles, Liège, avec l’investissement de plusieurs personnes qui aiment échanger. Moi je découvre parce que j’ai peu d’expérience en la matière. J’ai ouvert une rubrique vagabondages. C’est une petite fenêtre, comme une envie d’oxygène, comme une envie de se dire qu’il y a toujours un potentiel de créativité avec des concepts moins autorisés. Je ne voudrais pas que le site s’enferme dans des définitions fermées.
Les témoignages sont venus en dernier lieu. Le site fonctionne. Il y a eu 20000 visites depuis septembre 2008, des réactions aux articles, de belles richesses, de belles croisées. Mon idée c’est aussi de lancer le site, puis de l’ouvrir en termes de multigestion. J’aime les échanges humains, l’outil est là, il faut se l’approprier. Sinon, le polyamour m’a permis aussi de découvrir le plaisir de l’écriture poétique avec une vingtaine de petits poèmes que je garde dans un tiroir. Il y en a peut-être un ou deux qui vont transparaître sur le site. Il y a d’ailleurs une nouvelle rubrique poésie qui vient de s’ouvrir, j’espère qu’elle va se remplir. Une jeune fille m’a envoyé un texte que j’ai mis en avant pour inaugurer, je le trouve superbe.
– Comment définirais-tu le polyamour ? As-tu identifié différentes formes de polyamour ?
Sur le site, il y a déjà pas mal de définitions. Je pense que je peux tenter de le définir, en me méfiant des étiquettes, parce que polyamour, c’est un mot qui a sa place et puis c’est rassurant car ça sonne assez bien. Et en même temps, il y a peut-être des nuances à apporter. Françoise Simpère parle de lutinage, j’aime bien ; les amours plurielles, c’est pas mal aussi.
Je pense qu’il y a différentes formes de polyamour. Elles sont particulières, elles sont singulières en fonction de ce qu’une personne peut vivre, en type de polyfidélité, par exemple en se disant je m’investis dans deux relation ou trois, avec l’idée des relations en V, ou les personnes ne se connaissent pas toutes. Il y a d’autres formes plus horizontales où chacun peut se croiser. On a des relations en triangle, des relations à quatre partenaires. Mais, tout ça est à nuancer, moi j’aime bien aussi les amitiés sexuelles ou celles sans sexualité. Il y a du sexe ou pas, ce n’est pas tellement important. L’important, c’est d’être simplement, dans une envie de partage et de sentir qu’on ose se mettre un peu en risque relationnel.
– Ta première expérience polyamoureuse et quand, comment t’est tu rendu comte que tu étais polyamoureux ?
Je pense que c’est venu progressivement. Après deux années de mariage, à la naissance de ma fille, il y a 18 ans maintenant, il y a eu un réflexe de repli sur le couple, de distanciation comme cela arrive parfois à la venue du premier enfant. Après quelques mois, Sophie a eu envie de revoir quelqu’un d’important qui avait compté dans sa jeunesse et il y a eu des permissivités. Il y a eu une première découverte avec quelques douleurs, quelques jalousies évidemment, aiguës parfois. Et face à cela, je me suis toujours senti libre de pouvoir la quitter pour construire autre chose. La société à l’air de proposer ça et elle m’aurait sans doute donné raison. Mais il y avait des moments de trouble où je sentais un univers à découvrir, quelque chose qui me semblait intéressant en résonance avec mon adolescence, où vers 15-17 ans j’avais promis à une amie – et promis à moi même – que j’avais envie d’aller très loin dans l’amour.
L’idée, c’était d’essayer de comprendre ce qui se jouait, ce que je ressentais. Il y avait un mélange de peur, d’excitation, d’incompréhension parfois. En fin de compte ces rencontres entre Sophie et son ami n’étaient pas si fréquentes, mais la fréquence importe peu. Il m’a fallu trois à quatre ans pour me permettre aussi de petites tentatives de séduction avec d’autres femmes avec plus ou moins de confort. Il y a eu des rencontres décisives que j’ai pu faire, une personne que j’ai vue pendant deux années très régulièrement avec l’idée de se dire qu’on assume les sentiments aussi. Mais là c’est vrai qu’il y a eu des petits dérapages, des excès, des moments où l’on ne sait plus très bien, mais en tout cas aucun regret et du bonheur partagé avec des envolées sauvages, et une écriture de poésie, très riche.
La production créative pour moi est tout à fait liée à des autorisations qu’on peut se donner, des sentiments de grande liberté qu’on peut découvrir. Et l’on peut aussi très bien se sentir seul, aussi bien dans le couple de base qu’avec soi-même. Ça, de toute façon c’est une prise de conscience, polyamour ou pas, à un moment donné on sait qu’on est seul dans son lit, on sait qu’on va mourir seul un jour et l’on sait aussi qu’on a un regard sur nous-même et sur notre propre corps qui nous appartient. Il y a aussi toujours cette tentation et ces réflexes de société qui nous rappellent sans arrêt qu’on est dans un système patriarcal traditionnel et que c’est une lutte.
Et puis le couple est là et le couple continue à grandir avec des périodes de rapprochement, d’éloignement. Il y a eu parfois une année ou deux où l’on était qu’à nous deux. A d’autres moments, Sophie et/ou moi avions nos permissivités, avec à chaque fois de l’intérêt pour l’autre, des peurs parfois, mais en tout cas, toujours des rebondissements qui pimentaient nos relations, en assumant au mieux les excès. Pour revenir encore sur mes premières expériences polyamoureuses, j’ai été perturbé, je pense avec une personne qui était plus jeune que moi, qui me plaisait beaucoup et que j’ai approché en douceur, une autre personne aussi, où là, je me suis lancé à corps perdu… Ça à fait quelques dégâts dans mon couple, je me suis donné comme un jeune amoureux. Ce sont des images fortes qui me restent aujourd’hui. Cela à failli être la rupture du couple à ce moment-là.
C’est-à-dire que c’est tout d’un coup comme une soupape et c’est des choses que je remarque dans d’autres couples polyamoureux qui sont dans une douce expérimentation. Il y a toujours cette tentation, on va dire de la nouveauté, des nouveaux petits émois, des choses qui font que l’on a envie de voir la personne plus souvent et l’on sait aussi que le couple de référence ou le couple plus ancien va peut-être perdre quelques plumes. Les petites discussions que j’ai pu avoir avec Françoise Simpère sur ce sujet étaient riches par le fait quelle me disait avoir accepté d’être au second plan pendant plusieurs années (parfois 7 ans) alors que son mari faisait une nouvelle rencontre. C’était un cadeau qu’elle me faisait en me disant cela, c’est une leçon de courage, de tolérance. C’est oser se dire : « je fonctionne autrement, je suis un peu extraterrestre ».
– Peu après polyamour.be, polyamour.info est né. Comment expliques-tu cette simultanéité ? Vous vous connaissez ?
Sur le site polyquébec, j’ai publié une petite annonce en septembre et Bohwaz a répondu. C’est quelqu’un qui s’occupe de polyamour.info. Tout à fait enthousiaste parce que cela fait 4-5 ans qu’il avait acheté le nom de domaine polyamour.info, l’ouverture de mon site lui a redonné un petit coup de fouet, comme il m’a dit. Il a lancé le site un peu plus vite que prévu, et très gentiment on s’échange des conseils. Françoise Simpère qui est venue nous voir en Belgique, il y a un mois, fait un peu le lien entre les deux sites puisqu’elle est allé a plusieurs rencontres à Paris. Aujourd’hui cette communauté en France regroupe une belle jeunesse de trentenaire et vingtenaires. Bohwaz me paraît dans une grande ouverture, dans une belle ludicité.
– Les mouvements gay-lesbiens et/ou féministes ont-ils influencé le polyamour ?
Oui, ça me paraît évident. Les mouvements gays lesbiens il y a 20 ans n’avaient pas cette reconnaissance plus admise, et je pense que le polyamour devait venir après. Le mouvement féministe a ouvert des portes. Elles ont affirmé une façon de voir les choses, et elles en ont pris plein la gueule. Je pense qu’aujourd’hui quelques portes restent entrouvertes et le mouvement polyamoureux met un pied dans la porte. Et peut-être que des hommes ont compris la chose et ont envie de rejoindre ce mouvement. Il y a une dimension politique pour moi derrière le polyamour. Je crois que le mouvement polyamoureux est émergent d’une féminité que l’on peut trouver dans l’homme et dans la femme et que c’est une suite au combat des femmes, des années 70 comme il y a 100 ans. Clémentine a aussi donné des points de repère dans l’émission au niveau d’un mouvement féministe qui est peut-être un peu particulier, mais qui a toute sa place, toute sa richesse. Aujourd’hui, les hommes que je rencontre dans le mouvement polyamoureux, dans des tours de table, dans des rencontres, sont pour moi des hommes qui ont un accès à leur féminité de manière assumée, une belle féminité riche d’expérience.
Ils osent la parole, ils osent avoir le regard sur eux et ils osent se dépoussiérer d’une mentalité autoritaire et patriarcale qui est toujours dans ce réflexe dont il faudra bien un jour sortir. Je crois que la femme aujourd’hui doit être écoutée. Les familles éclatées, recomposées sont aussi des terreaux favorables à des questionnements pour l’homme et la femme qui ont vécu en couple et se séparent parce qu’il y a du manque de désir. Je pense que la monogamie s’inscrit dans des contextes politiques précis, des traditions qui font que le système laisse une place inférieure à la femme et que ça arrange nos décideurs politiques, les chefs d’état ou les gourous religieux de toutes sortes. Le mouvement polyamour est dans l’ouverture d’esprit, une certaine égalité et une justesse relationnelle, qui reste à découvrir, mais la société d’aujourd’hui n’est pas prête, donc on va attendre encore une cinquantaine d’années peut être, mais on a envie d’être dans la course.
– Tu t’intéresses à d’autres cultures (actuelles ou anciennes) qui pourraient avoir des influences polyamoureuses ?
Je n’ai pas une formation de sociologue ou d’anthropologue, mais le livre de Jacques Attali : « Histoire des relations entre les hommes et les femmes » est assez riche. Il faut observer toutes sortes de modèles. Chez les Celtes, il y avait un fonctionnement par petite tribu et pas du tout la vision impérialiste de la Rome de l’époque. Quand on lit Jean Markale (Le triple visage de la femme celte), on apprend que le peuple Celte était assez particulier dans sa structure son organisation familiale, sociale. La femme avait acquis des droits qu’elle a perdu ensuite, avec la christianisation. Une femme pouvait quitter son mari reprendre ses biens et quitter son foyer avec un honneur et un respect qu’elle a ensuite complètement perdu, avec l’humiliation, le bannissement du village. Là, je pense qu’il y a un travail de mémoire très important.
– Suivant les évolutions actuelles du couple, de la famille, Le polyamour peut-il devenir un modèle du relationnel amoureux du futur ?
Oui, je pense que cela a sa place autant qu’affirmer son homosexualité, que s’inscrire dans le transgenre ou dans le genre fluide puisque ce sont de nouveaux mots qui apparaissent. Il faut oser sortir des étiquettes et des petits casiers. Descartes n’a pas fait que du bien. On a voulu mettre en boîte une série de concepts. Mesurer, peser, étiqueter est rassurant, mais a aussi sa limite et a un effet pervers, c’est qu’il enferme. Le futur se réinvente aujourd’hui, si l’on observe une belle jeunesse qui est en train d’éclore. Les contrats tacites se nouent entre jeunes qui se découvrent, se touchent, se caressent, qui osent le plaisir se nuancent et se structurent peut-être autrement que ma génération. Quand je m’imagine à l’age de mes enfants, quand je les observe, je suis en grand respect, je les trouve audacieux. Eux doivent vivre aussi avec un poids, la peur du sida. On doit les informer, mais on ne peut pas que leur dire « attention au sexe, tu vas être enceinte, tu vas avoir le sida… »
Comment font-ils pour vivre avec aisance les premiers attouchements sexuels, les premières petites audaces, les premières confiances ? C’est même un peu criminel, de ne proposer à la jeunesse que de la peur. C’est aussi une façon de garder une mainmise sur eux et de les dominer. Je pense que leur réaction est assez saine de pouvoir ouvrir leurs oeillères, je parle de manière un peu générale, même s’il n’y a pas qu’une jeunesse. Il y a une jeunesse assez lucide qui nous observe avec nos divorces et nos familles recomposées. Vont-ils se lancer à corps perdu dans un système qu’ils savent usé. Je pense qu’ils vont être plus malins, plus en respect avec eux-mêmes et avec cette notion de culpabilité en moins. C’est un travail de longue haleine, une pensée déchristianisée. Cela reste un combat de tous les jours.
– Dans polyamour, l’amour est mis en avant… Mais derrière la relation amoureuse, on imagine aussi la sexualité ?
Tout bascule dans cette question. Si je dis à quelqu’un de monogame « j’aime ma femme » Il va dire bravo. Si je dis « j’aime ma femme, j’aime une autre femme mais c’est un amour qui n’est pas consommé » Il va dire bravo aussi. On a tous un amour d’enfance, un amour perdu ou un amour inavoué. Maintenant si je dis « j’aime ma femme, j’aime une autre femme et je met ma main dans le soutien gorge de cette autre femme » tout d’un coup, il se passe quelque chose, il y a un basculement, il y a cette fameuse frontière. Si je dis « J’ai pris sa main », ça peut encore passer, quoi que… si je dis « j’ai mis ma main dans son dos comme une petite caresse amicale » ça passera aussi. Il y a cette parcellisation du corps, cette fracture entre les zones permises, les non permises, les zones érogènes ou moins érogènes et l’on sait que c’est culturel.
La nuque d’une Japonaise a un haut potentiel d’attirance sexuelle, les pieds aussi, chez nous cela a moins d’importance. Les femmes voilées protègent leur chevelure du regard des hommes. Sont-elles dans un regard libre sur leur corps ? C’est tout un débat. Je pense que les hommes, les pères les frères veillent à la sauvegarde, qu’il y a une mainmise sur la femme par la religion. Imaginer la sexualité, oui, mais aussi, comme le dit Françoise Simpère, être polyamoureux, c’est aussi se permettre de ne pas être en sexualité, dans aucune relation sexuelle.
Le site polyamour.be n’est pas visité par des gens qui cherchent une émotion sexuelle visuelle, par exemple qui chercheraient à s’émoustiller sur des photos. Tout se joue dans les mots et bien sur que le sexe a sa part, entre les lignes et dans l’imaginaire des polyamoureux qui sont des gens sexués comme tout le monde. Mais il n’y a pas cette mise en avant d’une manière un peu brutale d’une intimité. D’ailleurs j’observe que les polyamoureux qui se confient ont une certaine pudeur, un respect de l’autre, de la parole, une grande tolérance.
– Personnellement, j’identifie comme polyamoureuses, certaines relations amicales très fortes (et parfois un peu ambiguës…). Qu’en penses-tu ?
Je crois qu’oser embrasser un ami sur la bouche, oser avoir une tendresse corporelle avec un ami, c’est bien. Qu’est ce que tu entends par relations amicales très fortes ? C’est intéressant les amitiés sexuelles aussi. Il y a un beau texte sur ce thème sur Infokiosque qui s’appelle « Contre l’Amour ». C’est un texte un peu provocateur, mais qui est très riche et qui aborde bien ce thème.
Vive l’ambiguïté ! Les modèles formatés aliènent les gens. L’amitié d’une certaine manière peut être supérieure. Je pense qu’il y a beaucoup à creuser à ce niveau-là. Il peut y avoir un grand esprit de liberté, puisque l’amitié est choisie, l’amitié c’est l’engagement permanent, c’est le respect, avec ou sans sexe. Cela peut être aussi une façon de voir.
– Comment vis tu le fait d’être régulièrement renvoyé au soupçon (ou à l’accusation) d’une impossibilité de s’engager ou d’immaturité du mode de vie polyamoureux ?
Oui, l’immaturité c’est bien. Si ça rassure les gens engagés dans la monogamie exclusive de mettre ce mot là. Moi je trouve ça bien ! À force de nous rebattre les oreilles : Un adulte doit être quelqu’un de responsable, de logique, qui va organiser sa vie autour de concepts, qui va rendre des comptes. Cet adulte va peut-être lâcher sa petite soupape après des années de pression dans des bordels, dans des excès, du tourisme sexuel… Ou simplement dans le nom respect des autres, les pressions psychologiques, les pressions au travail, les excès de vitesse sur la route.
Qui est immature ? La maturité se trouve dans les actes responsables qui engagent au niveau d’un bien être familial. Savoir écouter ses enfants, les accompagner, leur faire confiance, me paraît important. Etre lié à ces parents, ses frères et soeurs, ses amis. Ça me paraît être assez mature.
Oui, je peux m’engager avec tout ce que je viens de dire dans un respect de la parole, d’une écoute de qui que ce soit autour de moi, dans un respect de l’environnement. Ca me paraît être un beau combat ou j’ai encore des choses a apprendre, et je fait des tentatives d’introspection sur moi, avant de foncer en projetant un tas de jugements sur quelqu’un. Là, je me sens aller vers la maturité et la sagesse.
– Un article récent dans Rue89 a suscité beaucoup de réactions. Comment l’expliquer ? Penses-tu qu’il existe une forme de polyamory-phobie ?
Tout ce qui fait peur est intéressant donc tant mieux. C’est qu’on ne laisse pas indifférent. Mais je pense qu’on rassure aussi. Il y a des gens qui très spontanément m’envoient des poèmes, des textes, me demandent des interviews, sont dans un bonheur, semblent avoir trouvé une sorte de radeau, le radeau de la méduse et ils peuvent monter à bord. Et j’ai cette petite envie, avec beaucoup d’humilité, de dire voilà, il y a un petit bateau, là, qui navigue, on peut tenter un abordage, on peut faire monter quelqu’un aussi. Et il y a les paquebots tout autour, qui nous observent avec une longue-vue en se disant mais qui sont ces naufragés, va t’on les laisser monter à bord ou est ce qu’on les laisse dériver un petit peu seul, vont ils s’en sortir.
On fait peur à la société par notre envie d’ouverture, de liberté. Mon corps m’appartient, je décide de mes relations, je décide de jusqu’où je veux aller dans la relation. Ce n’est qu’une autre forme de mise en relation. Il y a une confusion, un amalgame avec l’idée qu’être libre c’est faire tout ce qu’on veut. Je pense que le mouvement polyamoureux n’est pas dans cette idée. La liberté demande un travail, des sacrifices.
On fait peur aussi, parce que la femme est libre. L’exclusivité arrange bien les hommes. Ils rêvent de polygamie, mais c’est à sens unique. Je pense que l’homme a besoin de rabaisser la femme pour se sentir supérieur. Il se sait inférieur, ne serait ce qu’en termes d’orgasme. L’homme peut avoir un orgasme toutes les demi-heures, tous les quarts d’heures s’il est en pleine forme, une femme, ça peut être dix en cinq minutes. C’est une grandeur qui fait peur à l’homme, qui l’impressionne beaucoup. Cela explique une partie de la différence entre hommes et femmes. L’homme aujourd’hui doit comprendre et accepter ça.
On excise une femme pour la garder au foyer, pour qu’elle ne découvre pas le plaisir sexuel et pour qu’elle reste fidèle au mari. Et il est triste que par tradition, des femmes se rendent complices de l’excision et trahissent ainsi d’autres femmes. C’est d’une violence inouïe. Quand est ce que l’on va couper le gland des hommes, est ce qu’une coutume pourrait imaginer pratiquer ce genre de chose ?
On n’a pas encore parlé des enfants et j’engage à aller voir sur poly-québec, puisque pas mal de familles échangent. En tout cas il y a un ou deux ans, j’avais trouvé pas mal d’articles sur comment faire quand les familles s’organisent et s’assument. La parole était libérée jusqu’à dire : je vis une relation et j’ai un enfant avec une personne et je voudrais un enfant avec quelqu’un d’autre. Comment fait-on pour mettre les enfants ensembles, comment se passent les rapports entre toutes ces familles croisées ?
Acceptons nous de fonctionner en tribu ? L’idée était aussi d’acheter une maison à plusieurs. Ils parlaient de la loi canadienne, comment ça se passe pour l’héritage. Le polyamour, ça peut être aussi ça. Je pense qu’ici, on n’est pas encore prêts pour ça. Ce sont des questions à venir.
– Le polyamour rend-il plus important la question de la séduction dans la relation amoureuse ?
Le couple monogame, en caricaturant un peu, je dirais qu’il se séduit quelques semaines et ensuite, il s’installe dans de l’acquis avec des moments où l’on va tenter de remettre la séduction à l’ordre du jour, pendant les vacances, à la fête de la Saint-Valentin, lors d’anniversaires. Alors que, la relation polyamoureuse peut être quelque chose qui sans arrêt se reconstruit, se re-séduit. Et la séduction peut enrichir.
Chaque relation a son potentiel de découverte, d’imaginaire, d’intimité de poésie, les acquis peuvent être partagés, ramenés chacun vers soi. Cette richesse peut apporter une énergie dans d’autres relations potentielles. Je pense beaucoup à l’échange d’énergie, je pense beaucoup au changement, si on compare la vie à de la chimie, de la biochimie, tout n’est que transfert d’énergie. Le couple polyamoureux est plus insécurisant à certains égards, mais peut-être plus vivant à d’autres égards, et notamment au niveau de la séduction.
– Quelle différence y a-t-il entre polyamour et échangisme ?
J’ai un petit peu vécu l’échangisme. L’échangisme, il y a un petit coté agence de voyage, on s’installe, on choisit les sièges, la destination et puis on connais le voyage, on sait ou l’on va aller et on sait les contraintes de vol, on va mettre sa ceinture, on va s’asseoir… Il y a ce coté là. C’est un milieu qui a ses ouvertures mais ses intolérances aussi. L’intolérance viendra dans le fait que l’échangisme conçoit que le partenaire doit être présent. Mais je trouve que c’est déjà un beau début d’ouverture, ça pimente des vies monogames, donc pourquoi pas.
Pour moi le polyamour c’est de l’échangisme, mais avec des sentiments et avec une autonomie plus grande puisque le partenaire n’est pas forcément là quand l’autre est en relation à l’extérieur. Il peut être là, il peut ne pas être là.
– Comment définis-tu l’infidélité ?
C’est un peu la réponse que tous les polyamoureux vont donner, c’est un mot qui n’existe plus pour moi. Je suis fidèle à moi même, dans mes choix amoureux, dans mes non choix aussi, puisque je le répète, être polyamoureux ça peut être vivre seul. On peut très bien être dans une non relation aussi. J’insiste parce que ça clôt le raccourcis d’idée : je suis polyamoureux donc je fait l’amour avec tout le monde, je suis dans l’excès et il n’y a aucune morale.
Qui est infidèle ? Qui est fidèle ? Les couples monogames ne sont-ils pas infidèles à la vie ? Les grandes avancées humaines se sont faites à coups de risques. Risquer d’autres schémas relationnels fait peur et ébranle toute la société, puisque la société s’organise autour des familles. Dans les familles traditionnelles de culture judéo-chrétiennes, l’homme est au centre de la famille, au dessus de lui il y a son patron, puis il y a le parti politique, le gouvernement, et au dessus il y a dieu. Le patriarcat, la monogamie, le capitalisme, le monothéisme s’inscrivent dans une même logique.
Pour moi le polyamour appartient plus à l’horizontalité, au questionnement sur soi, au respect d’un rapport d’échange. Osons quitter les vieux réflexes, osons nous défaire de cet héritage, même si ce n’est pas gagné.
– Pas grand monde n’échappe à la jalousie, la possessivité. Comment appréhendes-tu ta propre jalousie ?
La jalousie, elle m’a posé problème pendant pas mal d’années. Je me vois encore faire un relevé des courses que ma femme avait fait sur son ticket de caisse en essayant de dénicher la boîte de préservatifs qu’elle aurait pu acheter. Là, on s’enferme dans de grandes souffrance et on est foutu parce qu’évidemment la jalousie a une part de réalité et une part d’imaginaire et on grossi souvent les choses.
J’ai rencontré ma femme avec son ami, il y a deux ans. Ils étaient en relation d’amour et ils ont laissé une porte ouverte vers ma venue parce que c’était une demande que j’avais, même si j’avais des peurs. Et l’on a pu être dans des échanges à trois, avec du plaisir, des caresses. Il y a eu des ouvertures, des intelligences et c’est clair que ma jalousie, j’ai pu la mettre en scène de manière un peu sexuelle, en osant me laisser accepter par cet homme qui lui pouvait m’observer sans me juger aussi. Ça a résolu un tas de soucis.
Suis je bisexuel ? Ça a été évidemment tout de suite la question. Je ne le pense pas, je n’ai pas spécialement d’envies homosexuelles, mais ça ne m’intéresse pas tellement d’y répondre en fait. J’ai rencontré cette personne, ça aurait pu être une femme, en plus de ma femme, ça a été un homme.
Il y a une quinzaine d’année il y a déjà eu quelques rencontres à trois, quand ma femme était aussi en rapport avec un autre homme. Et il y a eu des moments vraiment très intenses, où même je me mettais en retrait pendant que ma femme faisait l’amour avec cet homme. J’observais, j’étais en souffrance, mais j’étais en train de comprendre, à travers cette souffrance. C’était un petit pas et une acceptation, j’étais en train de me dire cet homme n’est pas un homme à abattre, n’est pas un rival. Il était là dans un plaisir en partage, j’observais et je pouvais être bien.
Je ne le préconise pas, mais c’était ma solution à moi pour dépasser cette peur du grand méchant loup, de l’autre, tout cet héritage. Mais il n’y a pas de grand méchant loup, il n’y a que des hommes et des femmes qui veulent jouir de leur corps, qui veulent se donner du plaisir dans la liberté et la limite de chacun. C’était un premier pas et dix années plus tard j’en ai fait un autre, avec cette idée qu’on peut être deux hommes à s’occuper d’une femme et que chacun peut aimer cette femme. En retour, cette femme peut aimer ces deux hommes et il peut se passer des belles choses, beaucoup de respect. Et à ce moment là, la jalousie s’est complètement atténuée.
La possessivité, c’est lié à la jalousie. Me posséder moi-même me paraît être plus intéressant. L’amour physique est sans issue disait Serge Gainsbourg. Il le disait peut-être dans ce sens là. Posséder quelqu’un, c’est illusoire. Tôt ou tard on se casse les dents. Je pense surtout qu’il faut oser se posséder soi, mais du coup ce n’est plus ce mot là qui convient, c’est se découvrir soi, s’accepter soi. Apprendre à ne plus se juger est le premier pas du polyamoureux ou même de l’homme, de la femme qui veut avancer librement.
– Quelque chose qui te tient à coeur que ne reprennent jamais les médias ou que les médias déforment ?
L’hyper sexualisation des médias, je trouve ça ennuyant. Un article de rue89 sur le polyamour y a quelques mois a fait 1000 visites sur le site. Bon, très bien, mais même TF1 m’a envoyé un message à l’époque pour me demander des témoignages. Et l’on sait très bien que cela va être récupéré à la sauce médiatique, avec les annonceurs qui se frottent les mains. « Je baise ma femme et mon amante et j’en suis fier » ou j’ai plusieurs femmes et je les assume toutes » ou « je m’envoie en l’air avec tout le monde ». Il y a tout le temps cette espèce de récupération dans l’idée d’amener de l’audimat.
On sait très bien que le sexe est accepté, soi-disant complètement intégré, libéré, moi je n’y crois pas. On ne fait la promotion du sexe que dans un rapport commercial. Il faut quelque chose à vendre à la clé, que les publicitaires s’enrichissent. Et quand on dit aux gens, il y a du plaisir à la clé et c’est gratuit, ça n’intéresse pas les médias. Ça cadenasse toute idée de débat démocratique et c’est bien pour ça qu’internet me parait beaucoup plus riche, ouvert, horizontal. C’est pour moi le média alternatif, même s’il est aussi envahi par les médias plus traditionnels. Il faut s’emparer de ces nouveaux outils. J’ai fait du journal télévisé en tant que monteur, j’ai été réalisateur de films sociaux, d’émissions de radio et je connais bien les médias, en tout cas l’audiovisuel. Je suis assez fâché avec eux, même si ils m’ont fait vivre et m’ont appris un métier, donné des outils… Il est temps d’éteindre les télévisions, et pour moi la bande FM est saturée de jeux imbéciles, et d’informations choc qui ne font que diaboliser les choses, faire peur aux gens. Ce sont les clés du pouvoir.
Le média dans le sens plus noble reste peut-être l’écriture. Je crois aussi beaucoup à la radio, j’écoute Radio Libertaire, France Culture, Radio Blagon, la Radio Suisse Romande, les webradio. Il y a aussi Dogmazic et jamendo qui sont des plateformes d’échange libre de musique, avec une licence libre, le copyleft qui est le pendant du copyright et qui est dans une idée de partage, donc on va dire qu’on est dans le polyamour musical, où un artiste peut prendre le risque de mettre à disposition sa création pour le simple plaisir du partage. On est dans l’idée du troubadour qui va chanter sa chansonnette pour le bonheur de la création, qui n’est pas dans une attente de rentabilité. Est ce qu’un artiste peut vivre de son oeuvre, oui peut-être, mais il peut aussi très bien ne pas en vivre. Vive l’amour en Copyleft ! Ce sera pour moi le mot de la fin.