Philippe, dit Polyphil, un Bruxellois d’une quarantaine d’années, est à la base du « mouvement » Polyamour en Belgique francophone. Interview
Polyphil gère le site Polyamour.be, qui allie une littérature de réflexion sur le couple à un forum de discussion de plus de 200 membres. Depuis un an, il a lancé le « café-poly », chaque premier mercredi du mois au MAC (maison Arc-en-ciel, au centre-ville). Les gens, polyamoureux ou non, se rencontrent façon auberge espagnole. Enfin, sur Radio Campus 92.1FM, il anime Polyplaisir des Utopies, une émission intimiste où des polyamoureux racontent leurs parcours de vie et d’amour. Un travail de passionné, épaulé par sa femme, apprécié par de nombreux chercheurs de sens d’un autre couple possible…
Vous vous êtes lancé dans l’activisme du polyamour ?
Polyphil : Polyamour.be est une structure informelle mais cohérente, ni ASBL, ni mouvement revendicatif. Les médias s’y intéressent, ce qui nous donne une audience Mais on sent qu’il y a des questions sur le polyamour. Aujourd’hui, de nouvelles façons de s’organiser et de se rencontrer se mettent en place avec internet, le CouchSurfing, l’augmentation des loyers… De plus, les gens croient de moins en moins à la monogamie exclusive comme étant la seule réponse. Le Polyamour fait donc sens : on peut affirmer aimer plusieurs personnes et vivre plusieurs histoires d’amour simultanément.
Peut-être pas pour le commun des mortels…
Le polyamour n’est pas un modèle. C’est un parcours d’épanouissement personnel, après un long processus de réflexion sur la relation amoureuse et le couple. On se sent très vite condamné quand on dit qu’on aime plusieurs personnes avec lesquelles on partage du sexe à deux. Cela dérange, ça ramène au corps judéo-chrétien où le péché est dans le corps. Le polyamour sort de ce carcan. Il est dans l’amour pluriel, dans sa polyfidélité, loin de la consommation sexuelle gratuite.
L’adultère vous concerne ?
C’est déjà un mot culpabilisant avec un regard moral sur l’acte amoureux. Cela ne nous concerne plus comme contrôler le corps de quelqu’un ou enfermer des gens dans des rôles comme l’amant caché dans un placard. Dans le polyamour, on n’a pas peur de parler de relations à plusieurs niveaux. On peut avoir une relation principale (c’est souvent le cas, avec une maison, des enfants, un mariage…) et des relations secondaires mais où chacun connaît la présence de l’autre. Il y a une diversité de situations avec la communication comme pierre angulaire.
Quelles différences faites-vous avec la polygamie, l’échangisme, le libertinage ?
La polygamie est un mot lourd de sens qui pour moi fait référence au patriarcat. Dans la religion, c’est rarement les femmes qui ont plusieurs hommes ! On n’est pas d’accord qu’il n’y ait pas d’équilibre. L’échangisme est très codé avec des rencontres de couples uniquement dans un cadre sexuel. Le polyamour, c’est aimer séparément plusieurs personnes. Le libertinage peut se rapprocher du polyamour, de son sens philosophique du 19e siècle sauf que le polyamour intègre la notion de (poly) fidélité, d’engagements amoureux durables.
Polyamour a des effluves de Mai 68 voire du féminisme…
On n’a rien inventé. Mai 68, les mouvements féministes et anarchistes ont déconstruit les normes sociales. Toutefois, en mai 68, si le conjoint avait une aventure, il était presque obligatoire d’un avoir une. On n’en est plus là. A mon grand étonnement, il m’est arrivé d’être égratigné par certaines féministes. Or dans polyamour, on est au-delà des « genres » ou alors comme Michel Onfray dans un féminisme de combat aux côtés des femmes. Mais la jalousie, le patriarcat, le machisme, l’égalité des sexes, les diktats du monde judéo-chrétien : ces luttes n’appartiennent pas qu’aux femmes.
Site des amours plurielles avec forum, on pourrait frôler le site de rencontres & sexe…
On a 215 membres, quelque 10.000 visites par mois. Le site polyamour.be n’a pas le profil d’un site de rencontres où l’on cherche d’abord le sexe, même si je soupçonne que ça peut être le cas pour certaines personnes. Et pourquoi pas : on est aussi des êtres vivants avec de pulsions. Toutefois, l’emballage du site et l’abondante littérature intellectuelle qu’elle propose sur la théorie du couple, les amours plurielles ainsi que les retransmissions des émissions « Polyplaisir des Utopies », tout ce contenu du site évacue une série de gens qui cherchent une rencontre vite fait. Les dragueurs et dragueuses d’un soir ont sur Internet et ailleurs beaucoup de possibilités. Ils s’attarderont peu sur Polyamour.be qui est un site d’échanges de réflexion.
Propos recueillis par Nurten Aka
Source : lesoir.be